Depuis que le Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, a annoncé vouloir intégrer un scénario de réchauffement à +4°C dans la nouvelle Stratégie nationale d’adaptation au changement climatique, lors de la conférence sur l’adaptation du 30 janvier dernier organisée par France Stratégie et I4CE puis au micro de France Info le 22 février, de vives réactions ont émergées mêlant parfois incompréhension et confusion. Explications.

Qu’entendons-nous par « scénario de réchauffement à +4°C » ?

Le scénario de réchauffement à +4°C fait, ici, référence à l’augmentation de la température moyenne à horizon 2100 en France, par rapport à l’ère préindustrielle, pour le territoire français.

Rappelons qu’en France métropolitaine, l’effet du changement climatique le plus sensible est la hausse des températures moyennes. De 1900 à 2018, le réchauffement atteint environ +1,7°C, une valeur plus forte que celle observée en moyenne mondiale, estimée à +1,2°C (±0,1°C) en 2020, par rapport à la période 1850-1900, selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Le réchauffement s’est accéléré au cours des 3 dernières décennies et va continuer à s’accroître si les émissions de gaz à effet de serre ne diminuent pas ou ne se stabilisent pas.

Quand une récente étude publiée dans la revue Earth Systems Dynamics (Constraining warming over France, Aurélien Ribes et al., 2022) révèle que la température moyenne en France sera de 3,8°C supérieure à celle du début du XXe siècle, dans un scénario dit modéré et considéré comme probable (sans hausse ni baisse drastique des émissions), on se doute bien qu’anticiper une augmentation de température de +4°C à horizon 2100 est le minimum à faire.

De plus, si la France se réchauffe plus vite que la moyenne globale, des disparités saisonnières et spatiales existent.
Ainsi, toujours avec les mêmes projections :
– l’augmentation moyenne serait de +3,2°C en hiver alors qu’elle serait de +5,1°C en été par rapport aux températures mesurées au début du XXe siècle,
– des régions plus continentales, à l’Est, se réchaufferont plus vite que le littoral ouest de la France métropolitaine.

S’adapter en prenant en compte un scénario de réchauffement à +4°C

L’adaptation au changement climatique vise à prendre des mesures pour réduire la vulnérabilité et renforcer la résilience des territoires face aux impacts du changement climatique attendus.

Aujourd’hui, les impacts du changement climatique sont déjà visibles et vont continuer de s’aggraver à mesure que la concentration en gaz à effet de serre augmente dans l’atmosphère. Néanmoins, les impacts du changement climatique seront radicalement différents en France, entre un scénario de réchauffement à +2°C et +4°C. Par exemple, la surmortalité due à la chaleur augmente de +5,7% dans un scénario +4°C contre une augmentation de +1,5% dans un scénario +2°C (source). L’ampleur des mesures d’adaptation est donc aussi très différente. S’adapter à un réchauffement à +4°C implique une adaptation transformationnelle avec des transitions profondes de nos territoires, qu’il est nécessaire de préparer dès maintenant, afin d’éviter une mal-adaptation. Cette dernière peut être induite par un sous-dimensionnement des futurs impacts (de façon singulière mais aussi de leur superposition) du dérèglement climatique.

Afin de mettre en place un véritable processus d’adaptation, se projeter dans un scénario probable d’un réchauffement global important est nécessaire. Ce choix incite à dépasser un biais de sur-optimisme (qui ne prendrait pas en compte l’inertie climatique) et permet d’être lucide sur les conséquences de ce scénario, pour les anticiper et démarrer l’adaptation de nos systèmes sociotechniques dès à présent. En effet, ceux-ci reposent sur un équilibre et une régularité des ressources et du climat. L’anticipation est primordiale pour éviter des conséquences délétères d’une adaptation « en réaction », peu efficace sur le long terme (avec l’augmentation de l’intensité des impacts) voire ayant des effets néfastes (consommation d’énergie de la climatisation, faux sentiment de protection d’une digue, etc.).

L’annonce du ministre de la Transition écologique est donc une bonne nouvelle car cela va nous obliger à repousser les limites en termes d’adaptation et d’anticiper les pertes et dommages pour un niveau de réchauffement plus élevé que celui que l’on vise avec les politiques d’atténuation actuelles. Des mesures dites « sans regrets » peuvent également être mises en place, dont les bénéfices seront toujours prépondérants quelque soit l’amplitude du réchauffement climatique.

Enfin, la France ne fait pas encore très bonne figure en ce qui concerne l’adaptation, comme l’a rappelé le Haut Conseil pour le Climat qui tirait la sonnette d’alarme en 2021 dans son rapport annuel : « en l’état, la France n’est pas prête à faire face aux évolutions climatiques à venir ».

Mettre en œuvre l’adaptation n’est pas baisser les bras

Il est bien évidemment nécessaire de renforcer l’ensemble des efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre, afin de contribuer à l’atteinte de la neutralité carbone mondiale et éviter un scénario catastrophique de dérèglement climatique.

Mais ce serait irresponsable de ne pas se préparer à un scénario où l’action à l’échelle internationale n’atteint pas les résultats visés. Il est donc normal que ces deux données aient un sens distinct.

Alors que le scénario climatique est un objectif pour une politique d’atténuation (objectif de limitation de l’augmentation de la température mondiale à +2°C inscrit dans l’accord de Paris), il est une hypothèse pour une stratégie d’adaptation.

Ne pas se projeter dans un scénario +4°C serait aussi oublier de considérer les effets de seuils et d’emballement des impacts, décrits dans les futurs du climat.

Que retenir ? 

Finalement la différence entre s’adapter à un scénario de +2°C et +4°C de réchauffement climatique réside dans l’ampleur et la gravité des impacts attendus. Un scénario de +4°C présente des impacts bien plus graves et plus difficiles à gérer qu’un scénario +2°C.

Alors qu’actuellement, les politiques d’atténuation mènent à des résultats proches d’un scénario +4°C et que les politiques d’adaptation semblent considérer des impacts à la marge, d’un réchauffement inférieur à +2°C, toute feuille de route climat doit déployer des actions pour rester sous les +2°C tout en anticipant les conséquences d’un monde à +4°C.

Le choix d’anticiper ce monde-là montre donc une certaine amélioration en matière de politique d’adaptation aux changements climatiques.

Il faut désormais aller au-delà de l’hypothèse de cadrage pour le futur travail de mise à jour du plan national d’adaptation au changement climatique et s’assurer que les moyens soient bien mis en œuvre aux échelles nationales comme locales, ainsi que dans l’ensemble des organisations. En particulier, la déclinaison dans les Régions et territoires dans une logique de planification (SRADDET, PCAET) doit se renforcer et s’accélérer, dans les ambitions comme dans les moyens.