Réintroduction d’un néonicotinoïde interdit en France depuis 2018, facilitation de la création de méga-bassines. La proposition de Loi Duplomb alimente les débats et est représentée comme un recul historique pour l’environnement mais aussi pour l’agriculture elle-même, en retardant sa transition nécessaire pour répondre aux défis d’une agriculture résiliente aujourd’hui et demain.

La loi Duplomb, c’est quoi ? Pourquoi tant de controverse ?

La loi Duplomb, officiellement intitulée « proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », est une proposition de loi française. Elle est discutée actuellement en Commission Mixte Paritaire, dans un climat sociétal, médiatique et politique particulièrement tendu. Elle fait l’objet de vives critiques car considérée comme un recul majeur en matière de protection de l’environnement et de la santé. Enfin, elle favorise une agriculture intensive, avec des pratiques considérées nocives pour l’environnement et les petites exploitations.

Parmi les mesures les plus critiquées de cette proposition de loi :

La réintroduction de certains pesticides néonicotinoïdes comme l’acétamipride

La facilitation du stockage massif de l’eau destinée aux méga bassines en le déclarant d’intérêt général majeur

  • En France, 58% de la consommation d’eau douce est déjà dédiée à l’agriculture.
  • Dans un contexte d’augmentation des sécheresses liée au changement climatique, la facilitation non adaptée du stockage de l’eau revient à ignorer les besoins écologiques des écosystèmes, à privatiser l’accès à l’eau au bénéfice d’un petit nombre et à continuer à favoriser des modes de production qui ne sont plus adaptés aux contraintes d’un territoire.

L’augmentation des seuils au-delà desquels un élevage doit réaliser une évaluation environnementale, pour les volailles et les porcs notamment

  • Cette augmentation facilite l’augmentation de l’intensivité de l’élevage en allégeant les contrôles à son égard.
  • L’élevage intensif est responsable de nombreux impacts environnementaux  avec des conséquences parfois spectaculaires (ex : problématique des algues vertes en Bretagne)

Une diminution du pouvoir de contrôle et régulation pour les principales agences publiques (ANSES, OFB) dans un contexte où elles sont particulièrement ciblées malgré le rôle fondamental de garde-fou qu’elles jouent pour assurer la protection des consommateurs, agriculteurs et de l’environnement.

Pour une réelle transition agricole

Cette loi représente une menace vis-à-vis de la biodiversité… mais aussi de l’agriculture. En effet, le secteur agricole est déjà à la fois le secteur ayant le plus d’impacts sur la biodiversité (70% de la perte de biodiversité terrestre mondiale est liée à la production agricole) et l’un des plus dépendant aux services écosystémiques en retour (par exemple, la pollinisation). Augmenter les pressions sur la biodiversité ne peut conduire qu’à pénaliser l’agriculture de plus en plus dans le futur.

Par ailleurs, notons que si on caricature trop souvent les agriculteurs comme des opposants farouches et systématiques à toute mesure en faveur de la biodiversité, un récent rapport du Shift project a montré l’inverse. Selon ce rapport, seuls 7% des agriculteurs interrogés ne veulent pas s’engager dans la transition écologique, alors que plus de 80% sont inquiets pour la viabilité de leur activité face aux conséquences du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité.

En revanche, et c’est bien là le point clé, 87% posent des conditions économiques pour s’engager ou accélérer leur transition, rappelant ainsi que pour être acceptable, la transition écologique doit d’abord être socialement juste. Ainsi, le coût de la transition agricole ne peut pas peser principalement sur les agriculteurs modestes. Ce coût doit être réparti sur l’ensemble de la chaîne de valeur et peut être facilité avec en premier lieu un support financier (public ou privé) adéquat pour les agriculteurs.

Pour finir, la vision portée par ces débats idéologiques dépassés freine les réflexions essentielles sur la transformation des modes de production vers des pratiques sans néonicotinoïdes. Plus largement, ce texte occulte des réflexions sur des leviers de transition globaux de nos modèle agricoles : augmentation de la part végétale dans la ration, promotion et valorisation des bonnes pratiques environnementales, réduction de la part des produits transformés, relocalisation de la production, répartition de la valeur, gestion durable et collective de l’eau…

Il semblerait plus pertinent d’orienter les débats et le travail législatif sur :

  • La place future des filières dans un monde de demain désirable (ex : doit-on favoriser des cultures non nourricières, au détriment de la biodiversité et de filières nécessaires à l’alimentation, comme c’est le cas dans cette loi ?)
  • Les alternatives à développer : quel modèle agricole et alimentaire pour demain ? Comment pourrait-on appuyer les agriculteurs dans la transition agricole pour augmenter leur résilience face à l’effondrement de la biodiversité (agroécologie, développement de filières et de cultures moins consommatrices d’eau, moins vulnérables aux ravageurs…) au lieu de réintroduire un pesticide interdit et de faciliter le stockage d’eau au détriment des écosystèmes ?
  • La manière de planifier et de financer cette transition pour fixer des grands caps stratégiques tout en s’assurant que le coût de la transition sera supporté par l’ensemble d’une filière et les acteurs publics concernés, plutôt que de reposer principalement sur les agriculteurs ou sur les ménages modestes.