Le début d’année 2025 a été marqué par la publication des premiers rapports de durabilité alignés avec la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). BL évolution a publié une étude sur les rapports publiés par les entreprises du SBF 120, portant sur la manière dont celles-ci structurent leur reporting et leur stratégie RSE.
L’entrée en vigueur progressive de la directive européenne marque un tournant majeur en plaçant la gouvernance au cœur des stratégies RSE et impose aux grandes entreprises de rendre compte de la manière dont elles pilotent, à haut niveau, leurs enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Cette exigence permet de mieux comprendre l’implication des instances de gouvernance – Conseil d’administration, COMEX, CODIR – dans la définition, la validation, et la co-construction de la stratégie RSE. De plus en plus d’entreprises mobilisent des directions clés (générale, financière, opérationnelle) pour intégrer les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance à un niveau stratégique. La rémunération des dirigeants devient un levier clé d’engagement, avec une part croissante de la rémunération variable désormais indexée sur des objectifs RSE mesurables : réduction des émissions de GES, parité, satisfaction des parties prenantes ou encore performance sociale.
Si les attentes réglementaires s’intensifient, certaines entreprises s’y sont déjà préparées. C’est le cas de Bouygues, groupe français multisectoriel, qui illustre, à travers son dernier rapport, une gouvernance RSE intégrée, structurée et ambitieuse.
Gouvernance RSE et durabilité : une exigence stratégique
La CSRD ne se contente pas d’exiger un reporting d’impacts ; elle impose de documenter le rôle des organes d’administration, de direction et de surveillance dans la définition, le déploiement et le suivi des stratégies de durabilité. Pour Bouygues, cela vient renforcer une dynamique déjà amorcée depuis plusieurs années : faire de la RSE un pilier de gouvernance, au même titre que la performance économique.
Le groupe a mis en place une organisation à plusieurs niveaux qui articule conseil d’administration, direction générale, comités spécialisés et pilotage opérationnel, chacun ayant un rôle défini dans la conduite des transitions.
Les différents conseils et comités impliqués dans la supervision et le pilotage de la durabilité, leur rôle ainsi que les liens hiérarchiques entre eux sont présentés de manière synthétique dans le schéma ci-dessous, permettant de bien comprendre les articulations entre chaque organe de gouvernance :
Extrait du DEU Bouygues 2024, page 143
Au-delà des comités stratégiques, la stratégie RSE est déclinée et suivie par chacun des métiers de Bouygues, afin d’être irriguée à tous les niveaux stratégiques.
Une gouvernance RSE articulée et experte
Composé de 14 membres, dont 50 % de femmes et 5 indépendants (page 54), le Conseil d’administration de Bouygues inclut également 4 représentants des salariés/salariés actionnaires (page 54). Le Conseil suit activement les sujets RSE, supervise la stratégie climat et veille à l’alignement de la performance durable avec les intérêts de long terme de l’entreprise.
Extrait du DEU Bouygues 2024, page 54
L’administration du groupe Bouygues est formée et évaluée sur leur niveau de compréhension des enjeux RSE. En 2024, l’ensemble des membres du Conseil d’administration a déclaré se sentir suffisamment formé aux sujets de durabilité du groupe (page 145). Les formations à la durabilité ont inclus depuis 2021 des formations sur des sujets climatiques, sur le lien entre l’énergie, l’économie et le changement climatique, mais aussi une sensibilisation à laréglementation CSRD ou encore une fresque du climat. Pour aller plus loin, le conseil d’administration pourrait renforcer ses formations sur les autres sujets environnementaux (biodiversité, pollutions, …) et sur les enjeux sociaux et sociétaux (notamment en lien avec la chaîne de valeur).
Au-delà de leur maîtrise des sujets de durabilité, il est détaillé de manière transparente et complète l’expertise et l’expérience de chacun des membres du Conseil d’administration, ainsi que leurs mandats et compétences
Extrait du DEU Bouygues 2024, page 74
Extrait du DEU Bouygues 2024, page 76
Comités spécialisés : des leviers opérationnels pour la stratégie RSE
Il est recommandé aux entreprises d’impliquer la direction dans la définition et le suivi de la stratégie RSE de l’entreprise, afin que celle-ci soit intégrée au plus haut niveau stratégique de l’organisation. Bouygues a ainsi mis en place trois comités au sein du Conseil d’administration, qui jouent un rôle central dans la gouvernance RSE :
- Le comité de l’éthique, de la RSE et du mécénat, qui suit les performances extra-financières et propose les composantes ESG de la stratégie (p.91-92) ;
- Le comité de la gouvernance, de sélection et des rémunérations, qui examine la gouvernance du Groupe et la composition des instances dirigeantes, et élabore les politiques de rémunération (p. 89-90) ;
- Le comité d’audit, qui veille à la qualité du processus d’élaboration de l’information financière et de durabilité, au bon fonctionnement des dispositifs de contrôle interne et de gestion des risques, et supervise les relations avec les commissaires aux comptes et les auditeurs de durabilité (p. 88).
Ces comités travaillent en synergie, notamment lors de sessions conjointes pour calibrer les objectifs RSE intégrés dans les plans de rémunération des dirigeants. Ce fonctionnement croisé renforce la solidité des dispositifs et garantit une lecture partagée des enjeux.
Rémunération des dirigeants : aligner performance et responsabilité
Selon notre revue des premiers rapports CSRD des entreprises du SBF 120, 95 % des entreprises du SBF 120 analysées ont mis en place un critère de rémunération fondé sur des critères RSE, qui varient entre 5% et 35% selon les entreprises.
En 2024, Bouygues se positionne parmi les entreprises affichant les pourcentages les plus élevés concernant le critère de rémunération associé à des objectifs environnementaux ou sociaux, avec jusqu’à 25 % de la rémunération fixe annuelle des dirigeants mandataires sociaux liée à l’atteinte d’objectifs extra-financiers, contre 20 % l’année précédente (page 483). Cette part comprend :
- Un objectif climat, pondéré à hauteur de 10 % de la rémunération fixe annuelle en 2024, en nette hausse par rapport à 2022 où cet objectif représentait 5% ;
- Un objectif de mixité ;
- Un objectif de santé-sécurité, enjeu central notamment dans les métiers du BTP.
La réduction des émissions carbone, la diversité, l’inclusion et la santé-sécurité font partie des 5 types d’objectifs RSE les plus utilisés par les entreprises dans leurs critères de rémunération, aux côtés du taux de turnover et du déploiement et de la communication de la stratégie RSE.
Par ailleurs, les indicateurs extra-financiers représentent 26% de la rémunération variable maximum (tenant compte de la rémunération variable annuelle et long terme) en 2025 pour plusieurs dirigeants, dont le directeur général, et les deux directeurs généraux délégués, avec une représentation visuelle semblable à celle-ci pour chacun des 3 dirigeants :
Extrait du DEU Bouygues 2024, page 105
Pour calculer l’atteinte des objectifs déclenchant le versement des rémunérations variables, des cibles mesurables et spécifiques à chacun des métiers de Bouygues ont été fixées. Elles incluent par exemple en termes de réduction d’émissions de GES entre l’année de référence SBTi et 2027 :
- pour Bouygues Construction : -27 % d’émissions sur les scopes 1 et 2 (page 109) ;
- pour Bouygues Telecom : -29 % sur les scopes 1 et 2, et -17% sur le scope 3, (page 109) ;
- Pour TF1 : -18% sur les scopes 1 et 2, et -3,9 % sur le scope 3 (page 109).
Davantage de détails sur le calcul des indicateurs extra-financiers pour la rémunération variable annuelle des dirigeants ainsi que sur les rémunérations totales des dirigeants sont également inclus dans le rapport, garantissant ainsi la transparence des pratiques en matière de rémunération.
En 2024, la part de la rémunération réellement attribuée au titre de la performance extra-financière a représenté jusqu’à 36,3 % de la rémunération fixe pour certains dirigeants (ex page 128).
Cette approche place les enjeux RSE au cœur des incitations au plus haut de la direction, en cohérence avec les objectifs du groupe. Il serait toutefois également pertinent d’intégrer ces critères de durabilité dans la rémunération variable de l’ensemble des collaborateurs du groupe, afin de les intégrer dans une démarche collective. Aussi, il serait pertinent d’élargir les critères de durabilité afin d‘y inclure les autres sujets de durabilité, en lien avec les ESRS matériels de Bouygues.
Gouvernance Durable
Afin de définir une gouvernance durable, engagée et ambitieuse permettant de piloter la stratégie RSE, il est donc essentiel pour les entreprises d’intégrer la RSE au cœur de leur stratégie à tous les niveaux. Cela s’effectue via la création de comités spécialisés, aptes à suivre et piloter la stratégie RSE de l’entreprise. La formation de l’ensemble des équipes aux enjeux RSE est également importante, à la fois pour les membres des conseils d’administration et comités spécialisés, mais aussi pour l’ensemble des équipes de l’entreprise. Enfin, la mise en place de critères de rémunération incitatifs fondés sur la RSE, à la fois pour les mandataires sociaux, les membres du COMEX, les managers mais aussi pour l’ensemble de l’entreprise, permet d’engager l’ensemble de son personnel dans sa démarche RSE. Au-delà des critères sociaux, carbone et de santé-sécurité qui sont les plus souvent pris en compte par les entreprises, et pour aller plus loin dans leur démarche, les entreprises peuvent également inclure des objectifs liés à la biodiversité et à l’éthique des affaires, tout en s’assurant que ces critères sont alignés avec les impacts, risques et opportunités matériels de l’entreprise et qu’ils représentent un pourcentage élevé des rémunérations afin d’être davantage incitatifs.
Renforcer la transparence de sa gouvernance et intégrer pleinement la stratégie RSE à la stratégie d’entreprise permet non seulement d’améliorer la résilience du modèle d’affaires, mais également de favoriser une prise de décision plus éthique, durable et alignée avec les attentes des parties prenantes. Contactez-nous afin de vous accompagner dans votre démarche.