Alors que les projecteurs de la Fashion Week de Paris viennent de s’éteindre, mettant en lumière certaines marques très engagées, des voix se sont tout de même élevées pour dénoncer les impacts de cette industrie sur les personnes et la planète. En effet, depuis plusieurs années les critiques fusent sur l’impact environnementa l de la mode : utilisation massive d’eau et de pesticides , émissions de gaz à effet de serre (4% des émissions mondiales ), pollutions liées aux plastiques et aux teintures, exploitation de matières premières non renouvelables, production à outrance favorisée par la fast fashion… À cela s’ajoutent des enjeux sociaux déjà bien connus : conditions de travail, violation de droits humains, manque de traçabilité, surconsommation organisée.
La RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) dans la mode est donc un enjeu prioritaire. Elle permet d’engager les marques sur différents sujets : éco-conception, réduction des déchets, choix des matériaux, respect des droits humains, traçabilité, durabilité des produits. Pour une industrie longtemps guidée par la nouveauté et la saisonnalité, la baisse drastique des coûts et les délocalisations, il s’agit d’un virage structurant.
Paris, capitale de la mode… et de la transition écologique ?
La Fashion Week de Paris, par son rayonnement, a un rôle-clé à jouer dans cette transition vers la soutenabilité. Cette année encore, plusieurs maisons ont mis en avant leurs engagements RSE : collections conçues à partir de matières recyclées ou biologiques, suppression de la fourrure, réduction des volumes produits, présentation de savoir-faire locaux ou artisanaux.
Certaines figures du luxe, à l’image de Stella McCartney, pionnière de la mode responsable, continuent d’ouvrir la voie en mettant en scène des collections pensées dans une logique d’éthique animale et environnementale. D’autres maisons expérimentent des formes de sobriété dans leurs défilés : scénographies éphémères réutilisables, logistique repensée, invitations numériques…
Ces gestes traduisent une prise de conscience encourageante qui gagne du terrain, qu’il faut maintenant très largement implémenter dans tout le secteur.
En effet, des solutions concrètes existent, mais sont encore l’apanage des pionnières et pionniers :
- des matériaux plus durables, comme le lin et le chanvre, les fibres recyclées, les cuirs végétaux, les teintures naturelles ;
- une production locale, en plus petites quantités ou sur commande ;
- une meilleure gestion de l’eau (dès la conception des produits puis via l’optimisation des procédés industriels, le traitement de l’eau et sa réutilisation) ;
- une sous-traitance à des ateliers contrôlés et certifiés sur leurs pratiques environnementales et sociales ;
- des services de réparation et de remise à neuf, proposés par les marques elles-mêmes.
Ainsi, Hermès, s’affichant très ancré dans le luxe artisanal, utilise déjà des matériaux alternatifs, tels que le mycélium issu du champignon et qui peut être utilisé de la même façon que le cuir animalier ou synthétique, dans n’importe quelle couleur, gaufrage ou texture.
D’autres marques cherchent à s’approvisionner auprès de fournisseurs plus durables, comme la start up Evrnu qui fournit une matière issue uniquement du recyclage des déchets de textiles naturels.
Mais, au-delà de ces innovations matière, la responsabilité des marques doit aussi réaliser une remise en question du diktat des tendances en perpétuel renouveau, qui reste au cœur du modèle économique de la plupart des entreprises du secteur. C’est par exemple le parti pris d’ICICLE, marque qui se positionne sur des collections intemporelles, avec des vêtements simples, confortables et durables.
Force est de constater que des marques sont capables d’aller jusqu’au bout de cette logique et de proposer des collections qui mettent le respect sociétal et environnemental au coeur de leur modèle d’activité, même si pour le moment elles sont encore trop confidentielles. Citons par exemple les jeans éthiques et éco-responsables de la marque 1083, fabriqués exclusivement en France, avec des matières et des techniques de production moins impactantes, ou encore l’approche innovante d’Asphalte qui propose de la co-création, des matières et des procédés plus artisanaux, et une production uniquement sur commande.
L’éco-score textile : vers une mode plus lisible et plus responsable
Depuis le 1er octobre, les marques qui le souhaitent peuvent afficher un score environnemental sur leurs vêtements, en ligne ou en magasin. Inspiré de la méthodologie européenne PEF (Product Environmental Footprint), ce dispositif évalue l’impact global d’un produit sur tout son cycle de vie : extraction des matières, production, transport, usage, fin de vie.
Concrètement, chaque vêtement peut désormais porter un indicateur environnemental clair, exprimé en points d’impact : plus le chiffre est élevé, plus l’impact est fort. Ce score prend également en compte la durabilité du produit, la recyclabilité, ou encore la libération de microfibres plastiques.
L’objectif : offrir aux consommateurs une information fiable, transparente, et comparable, pour les aider à faire des choix plus éclairés, tout en incitant les marques à réduire concrètement leur empreinte.
Bien qu’il repose pour l’instant sur le volontariat, ce système pourrait devenir un levier majeur dans la structuration d’une mode plus vertueuse. Les grandes maisons de luxe présentes à la Fashion Week semblent néanmoins peu enclines à utiliser ce type de dispositif plutôt réservé à une offre plus « mainstream ».
Entre image et engagement : un équilibre à trouver
Dans un secteur où l’image est reine, conjuguer désirabilité et durabilité est un challenge passionnant. Le greenwashing guette et la “mode responsable” ne doit pas devenir une simple tendance marketing, mais bien une nouvelle norme industrielle.
La Fashion Week, en tant que caisse de résonance mondiale, doit jouer son rôle d’accélérateur de cette tendance. C’est dans ces moments de visibilité maximale que les engagements peuvent se traduire en actes collectifs, et que les consommateurs, influenceurs et décideurs peuvent être mobilisés autour d’un même impératif : faire évoluer la mode, sans renoncer à ce qui la rend puissante – la créativité, l’émotion, l’innovation – mais en intégrant ce qui la rendra durable – la transparence, la sobriété, l’éthique.
Entre glamour et conscience, la mode vit une révolution discrète, qui a vocation à s’accélérer. L’édition 2025 de la Fashion Week de Paris s’inscrit dans cette tension, entre passé et avenir, entre prestige et responsabilité, pour aller vers une transformation réellement structurelle permettant d’allier désirabilité et viabilité.
La haute couture et plus généralement la mode de luxe, avec son aura et sa capacité d’inspiration des marques mass market, commence à se positionner comme un véritable moteur de la transformation de l’industrie textile. Le choix fait par certains acteurs du secteur de laisser la marque Shein – devenu le symbole d’une mode irresponsable et insoutenable – s’implanter dans les rayons d’enseignes comme la Samaritaine ou le BHV, semble aller à rebours de cette responsabilité historique.
Avec le lancement de l’affichage environnemental, la France propose un premier pas vers une mode durable grâce à un outil concret pour mesurer, comparer et, espérons-le, changer. Une mode plus responsable ne se résume pas à un “style”, mais à un changement de culture.
Et c’est peut-être cela, aujourd’hui, le vrai luxe : une beauté qui ne coûte pas la planète.