BL évolution a publié une étude approfondie sur les premiers rapports de durabilité conformes à la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), publiés par des entreprises du SBF 120. Cette directive européenne impose un cadre de transparence renforcé sur les performances ESG (Environnement, Social, Gouvernance). Parmi les 85 entreprises que nous avons analysées, un grand nombre sont issues du secteur industriel (transport, chimie, énergie, etc), aux enjeux sont particulièrement spécifiques. Cet article se concentre sur les Impacts, Risques et Opportunités (IROs) les plus fréquemment identifiés par ces entreprises industrielles.

Un secteur industriel aux enjeux de durabilité particulièrement nombreux

Les entreprises industrielles étudiées dans le cadre de notre analyse identifient en moyenne 48 IROs (Impacts, Risques et Opportunités), soit légèrement au-dessus de la moyenne des entreprises que nous avons étudiées, tous secteurs confondus. Ces entreprises considèrent en moyenne 8 thèmes ESRS matériels, ce qui positionne l’industrie parmi les secteurs ayant le plus de thématiques de durabilité à adresser, avec néanmoins de fortes disparités puisque la fourchette va de 4 à 10 thèmes matériels.

Comme pour toutes les entreprises, les ESRS E1 (changement climatique), S1 (salariés de l’entreprise) et G (gouvernance) sont systématiquement matériels pour les entreprises de l’industrie. En plus de ce socle, les ESRS E2 (pollution), E5 (économie circulaire), S2 (salariés de la chaîne de valeur) et S4 (utilisateurs finaux) sont les plus fréquemment déclarés comme pertinents pour les entreprises de ce secteur, traduisant la transversalité des enjeux ESG dans l’industrie.

L’environnement : un sujet structurant pour les entreprises industrielles

Dans les rapports des entreprises industrielles, les sujets environnementaux occupent une place centrale. Cela s’explique par la nature même de leurs activités : elles sont fortement consommatrices de ressources, émettrices de gaz à effet de serre et exposées à des réglementations de plus en plus strictes. L’analyse des risques, opportunités et impacts environnementaux montre que l’industrie est à la fois un secteur vulnérable face aux dérèglements climatiques et à la perte de biodiversité, et un acteur clé de la transition écologique, capable de transformer ses contraintes en leviers d’innovation, de compétitivité et de résilience.

Parmi les risques identifiés, on trouve notamment :

  • L’épuisement des ressources naturelles notamment par la dégradation des écosystèmes qui entraîne des difficultés d’approvisionnement en matières premières (aluminium, cuivre, acier, nickel) et ressources naturelles et donc des perturbations des chaînes de production ;
  • Les événements climatiques extrêmes (inondations, sécheresses, tempêtes, vagues de chaleur) de plus en plus nombreux, qui entraînent des risques de dommages matériels pouvant ralentir ou même stopper les opérations des entreprises et nécessitant parfois des dépenses importantes liées à des réparations ;
  • Des réglementations climatiques strictes sur les émissions de gaz à effet de serre (taxes carbone, quotas d’émissions, interdiction de certains produits), mais aussi sur l’eau et les matières premières qui impliquent des dépenses liées à la mise en conformité, des risques de poursuites judiciaires en cas de non-conformité ou des risques réputationnels (détérioration de l’image auprès des parties prenantes) ;
  • Des risques réglementaires et réputationnels également liés à l’absence de démarche sur l’économie circulaire et à une gestion inefficace des déchets ;
  • Les coûts de la transition vers un modèle énergétique bas carbone, avec la nécessité d’adapter les technologies et les procédés industriels, et d’investir dans l’innovation technologique pour rester compétitif.

Les entreprises industrielles ont donc principalement évalué des risques physiques liés au changement climatique, des risques financiers associés à l’évolution des réglementations, ainsi que les enjeux de réputation et de transition énergétique. Ces thèmes sont présents de manière récurrente, soulignant l’importance pour les industries de s’adapter et de réduire leur empreinte écologique pour limiter l’impact des risques sur leur activité et leur image.

Mais les entreprises industrielles identifient également des opportunités liées aux enjeux environnementaux, telles que :

  • Une demande croissante pour le développement de produits et services éco-conçus, locaux et généralement plus responsables, qui favorisent la réputation des entreprises et se font notamment par le biais de nouveaux partenariats ;
  • De nouvelles formes d’innovations, notamment pour améliorer l’efficacité énergétique ou développer l’économie circulaire pour limiter la dépendance et la pression sur les ressources naturelles.

Les opportunités sont donc principalement associées à des avantages concurrentiels, à une amélioration de la performance financière et à une meilleure réputation.

 

Enfin, les entreprises industrielles ont identifié de nombreux impacts environnementaux liés à leurs activités de production et ce sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. Parmi ces impact (à très forte majorité négatifs), on trouve :

  • Les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités (production, extraction, distribution et cycle de vie des produits) qui entraînent une accélération du changement climatique et la dégradation de l’environnement ;
  • L’utilisation de substances dangereuses et la création de déchets (notamment microplastiques) qui polluent l’air, l’eau et les sols, impactent la biodiversité et dégradent les écosystèmes naturels ;
  • La pression sur l’ensemble des ressources naturelles, y compris les ressources marines.

Toutes les thématiques environnementales de la CSRD sont donc concernées par les impacts liés aux activités industrielles. Néanmoins c’est le sujet du changement climatique qui reste l’enjeu le mieux appréhendé : les entreprises industrielles ont pratiquement toutes formalisé un plan de transition climat, très largement aligné avec le SBTi, même si ces plans pourraient être plus ambitieux. En revanche les plans d’adaptation au changement climatique restent plus marginaux. C’est également le cas pour les plans d’adaptation liés à la biodiversité : cet enjeu est encore insuffisamment pris en compte par les entreprises.

Les enjeux sociaux : un levier de compétitivité et de résilience pour les industriels

Dans les entreprises industrielles, les enjeux sociaux sont intimement liés à leur performance opérationnelle. Les conditions de travail, la sécurité, la diversité et la relation avec les partenaires de la chaîne de valeur sont autant de facteurs qui influencent la productivité, la fidélisation des talents et l’image de l’entreprise. Les premiers rapports de durabilité montrent que les entreprises industrielles prennent de plus en plus conscience de l’importance d’une gestion humaine responsable, non seulement pour éviter les risques juridiques et réputationnels, mais aussi pour construire un modèle industriel attractif et durable.

Les principaux risques sociaux identifiés dans l’industrie sont :

  • Le non-respect des normes de sécurité et des réglementations liées à la santé des équipes, qui peuvent entraîner des accidents de travail, des poursuites judiciaires et des coûts financiers liés à la gestion RH ;
  • Des conditions de travail dégradées, des rémunération peu compétitives ou encore une faible diversité qui entraînent un climat social très défavorable et un turnover élevés qui impactent directement la performance de l’entreprise ;
  • Un manque de formation ou une inadéquation des qualifications des salariés avec les besoins de l’entreprise (notamment en matière de transition écologique) ;
  • Le non-respect des principes éthiques et des réglementations sur la chaîne de valeur (droits des travailleurs, conditions de travail, santé et sécurité, normes de diligence raisonnable …), qui peuvent entraîner des poursuites judiciaires et un fort risque réputationnel ;
  • La violation des données personnelles (tant pour les collaborateurs que pour les clients) qui entraîne une perte de confiance et des conséquences juridiques et financières importantes.

Les risques identifiés par les entreprises se concentrent majoritairement sur leurs salariés et ceux de la chaîne de valeur. Néanmoins les risques liés à la santé et la sécurité des utilisateurs, la non-conformité des produits ou encore la transparence de l’information auprès des consommateurs sont largement identifiés par les entreprises du BtC.

Ces risques coexistent néanmoins avec des opportunités le plus souvent centrées sur le S1 (salariés de l’entreprise) et le S4 (utilisateurs finaux) :

  • Un environnement de travail innovant et inclusif, des politiques de formation et d’évolution internes, et une culture d’entreprise forte qui permettent d’améliorer la rétention des talents, la satisfaction des employés et la productivité, mais aussi l’attractivité ;
  • Le développement de nouvelles offres adaptées aux nouveaux besoins sociétaux liés au respect des enjeux de développement durable.

Enfin, les entreprises industrielles ont identifié les impacts qu’ils font peser en matière sociale, notamment :

  • Les conditions de travail difficiles, dans l’entreprise comme dans la chaîne de valeur, liées aux risques de blessures, de maladies professionnelles, de troubles psychosociaux, à un équilibre vie professionnelle/vie personnelle souvent mis à mal, et à la précarité de l’emploi ;
  • Un manque de diversité et d’égalité des chances en raison de discriminations dans les processus de recrutement et de gestion des talents ;
  • Un manque de dialogue social qui entraîne des inégalités de traitement, un isolement des travailleurs et des conditions de travail dégradées ;
  • Une violation des droits humains notamment par les fournisseurs (travail forcé, travail des enfants, conditions de travail inéquitables), avec des impacts négatifs sur les droits des communautés locales ;
  • La fuite de données sensibles liée aux cyberattaques de plus en plus nombreuses qui impactent la vie privée des salariés et des clients.

La gouvernance : un pilier de crédibilité et de conformité pour l’industrie

Les enjeux de gouvernance sont un axe majeur pour toutes les entreprises, mais peut-être encore plus pour les entreprises industrielles du fait de leurs interactions complexes avec les fournisseurs, les autorités réglementaires, et la société civile.

Les entreprises industrielles ont notamment identifié les risques suivants sur la gouvernance :

  • Des pratiques commerciales contraires à l’éthique, notamment avec des risques de corruption plus ou moins affirmés en fonction des secteurs industriels, qui entraînent des sanctions pénales et financières, et impactent la réputation de l’entreprise ;
  • Les liens de dépendance vis-à-vis des fournisseurs qui peuvent entraîner des ruptures dans la chaîne d’approvisionnement ;
  • Le sujet du bien-être animal, qui se retrouve notamment dans les entreprises du luxe qui utilisent du cuir pour leurs produits et qui identifient un risque réputationnel.

Les risques identifiés sont surtout liés à des sanctions et risques réputationnels qui peuvent affecter la confiance des parties prenantes et donc la performance de l’entreprise.

Peu d’opportunités ont été identifiées, si ce n’est celle du lien de confiance à bâtir avec ses fournisseurs pour construire ensemble une stratégie de long terme notamment liée à la transition écologique.

Enfin, les entreprises ont identifié des impacts liés à la gouvernance, tels que :

  • Le manquement à l’éthique des affaires et la corruption qui contribuent à perpétuer des pratiques discriminantes dans la société ;
  • Les mauvaises pratiques de paiement des fournisseurs qui mettent en danger leur stabilité financière et les emplois des salariés qui y travaillent ;
  • L’absence de mécanismes de signalement et de protection des lanceurs d’alertes qui contribuent à dissuader le signalement de pratiques contraires à l’éthique et perpétuent des comportements répréhensibles.

Les premiers rapports de durabilité publiés par les entreprises industrielles du SBF 120 offrent donc une cartographie claire des enjeux ESG spécifiques à ce secteur. Les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance sont particulièrement nombreux et souvent interconnectés, mais les entreprises ont également identifié plusieurs opportunités de résilience de leur modèle d’affaires.

L’étude révèle un secteur en pleine mutation, confronté à de fortes pressions mais aussi doté d’un potentiel d’impact positif. Ces enjeux sont aujourd’hui de plus en plus au cœur des projections stratégiques. D’ailleurs, 92 % des entreprises industrielles étudiées ont établi des critères RSE pour la rémunération variable de leurs dirigeants. Cela démontre une forte sensibilisation du secteur à l’intégration de la durabilité dans les leviers de performance.

La mise en conformité avec la CSRD semble agir comme un catalyseur, poussant les industriels à structurer leurs engagements, à repenser leurs chaînes de valeur et à renforcer leur résilience face aux transformations économiques, écologiques et sociales en cours.