Cet article est issu d’un travail prospectif réalisé depuis 2 ans avec le Forum Vies Mobiles et le bureau d’études Vizéa, baptisé « Système Alternatif de Mobilité (SAM) ». Ce système, reposant sur un réseau de transports en commun ultra-performant et des réaffectations de voirie en faveur des modes actifs, a vocation à être mis en place rapidement par les territoires qui souhaitent l’adopter. EPCI, Départements, Régions sont des échelles pertinentes pour l’expérimenter, avant de l’appliquer à l’échelle nationale.
La voiture, gage de liberté individuelle ou symbole de servitude collective ?
« On aime tous la Bagnole », « Ma voiture, c’est ma liberté », « Impossible de me déplacer sans ma voiture ». La voiture a une place singulière dans le cœur de beaucoup de Français et de Françaises. Synonyme de liberté, elle semble irremplaçable, en particulier dans les campagnes. Questionner sa place dans notre quotidien est un exercice périlleux, car elle fait partie intégrante de notre culture et beaucoup d’entre nous y sommes attachés.
Mais la voiture nous rend-elle vraiment plus libres ? La prétendue liberté conférée par la voiture n’est peut-être qu’une illusion.
- Le système voiture est cher : En 2024, 15 millions de nos compatriotes étaient en situation de précarité de mobilité, un chiffre qui augmente au fil des années (Baromètre des Mobilités du Quotidien, Wimoov 2024). Ces personnes doivent régulièrement renoncer à se déplacer car elles ne peuvent pas en assumer le coût (achat ou réparation de véhicule, prix de carburant etc…).
- Le système voiture n’est pas accessible à toutes et tous : de nombreux publics sont dépendants d’autres conducteurs pour pouvoir se déplacer en voiture (PMR, personnes sans permis, jeunes de moins de 18 ans, etc…). La voiture ne répond pas à leurs besoins d’autonomie et d’indépendance aujourd’hui. Une récente étude du Forum Vies Mobiles (Enquête nationale sur les éconduits de la voiture, mai 2025) montre que 33% de la population française est structurellement exclue de la conduite.
- Le système voiture est néfaste pour l’environnement : en 2019, les voitures individuelles ont émis plus de 50% des Gaz à Effet de Serre du secteur de transports, et 16% des émissions nationales (Commissariat Général du Développement Durable, 2021). La mobilité est le secteur qui rencontre le plus de difficulté à réduire ses émissions. La voiture comme mode de transport principal est donc un obstacle majeur à l’atteinte des objectifs nationaux de réduction de notre empreinte carbone, et l’électrification des véhicules ne résoudra pas ce problème
- Le système voiture a de nombreux impacts négatifs sur notre santé : il nous encourage à la sédentarité (responsable de 9% des décès en France selon un rapport du Ministère de la Santé de 2024) et il génère de la pollution sonore et de la pollution de l’air, cette dernière étant responsable à elle seule de dizaines de milliers de décès chaque année, selon Santé Publique France. Il est également la cause de milliers de décès annuels liés à l’accidentalité routière. Enfin, au-delà des impacts en termes de surmortalité, le système voiture engendre d’autres nombreuses conséquences néfastes sur la santé (perturbations du sommeil, stress, maladies professionnelles, impacts sur la santé mentale, etc.).
La voiture n’est donc ni un gage de liberté, ni un moyen de transport universellement accessible. Coûteuse – pour l’environnement, pour notre santé comme pour les portefeuilles -, elle exclut près d’un tiers de la population française. Dès lors, une alternative à la voiture individuelle serait souhaitable.
Oser proposer une alternative : l’initiative du Forum Vies Mobiles
Le Forum Vies Mobiles, think tank français expert de la mobilité, et Pierre Helwig, ingénieur transports, ont souhaité en 2023 imaginer un système complet alternatif à la voiture. Un système qui réalise les promesses d’accès universel à la mobilité non tenues par la voiture : pour toutes et tous, tout le temps, partout en France, à toutes les échelles. Un système efficient, avec une qualité de service en termes de parcours, d’accessibilité et de fiabilité.
Sur la base de ces hypothèses et d’un premier schéma théorique, inspiré notamment du système de mobilité suisse, il a été demandé à BL évolution, en collaboration avec le bureau d’études Vizea, de développer un premier prototype sur sept départements français, puis d’évaluer son coût ainsi que les économies d’émissions de CO2 réalisées.
Résultat : un système réaliste, ambitieux et adapté à la diversité du territoire français, qui permettrait à plus de 90% de la population française de se déplacer quotidiennement sans voiture.
L’objectif n’est pas de supprimer les voitures de nos modes de vie du jour au lendemain, mais de proposer une véritable alternative à grande échelle pour la majorité de nos déplacements du quotidien : domicile-travail-école, mais aussi trajets de loisirs, médicaux, familiaux, etc.
Nos propositions pour un Système Alternatif de Mobilité
Ce système reposerait sur 3 piliers :
– En complément du réseau ferroviaire existant, un réseau de cars efficient avec un maillage fin : là où le train n’arrive plus, des cars cadencés (réseau express avec des fréquences de 10 min en pointe, 20 min le reste du temps) et des cars de rabattement (un réseau de proximité avec des fréquences de 30 min), circulant de 6h du matin à minuit. Le maillage d’arrêts est tel que 90% de la population serait à moins de 3km d’un arrêt. Chaque car cadencé aura un accompagnateur en plus du conducteur, pour faciliter le parcours usager et garantir une vitesse commerciale élevée.
– Un réseau cyclable ambitieux et pragmatique : des aménagements cyclables séparés de la voirie pour relier les principaux arrêts de transport en commun, complété par l’identification de voies à faibles trafic pouvant être exclusivement dédiées aux vélos, véhicules intermédiaires et autres engins de déplacement personnel motorisé (EDPM) à faible coût (filtres modaux, jalonnement cyclable et limitations de vitesse).
– Un réseau ferroviaire : à plus long terme, remplacer le réseau de cars express par la construction d’un réseau ferré performant grâce à l’électrification de lignes et la mise en place de voies d’évitements, avec une harmonisation dans la gestion des correspondances, une augmentation de la fréquence des trains et un investissement constant dans l’entretien du réseau actuel.
Une nouvelle hiérarchisation de la voirie
L’un des postulats clés de l’étude est qu’il est possible de tirer profit du réseau routier français, particulièrement dense comparé à ses voisins européens (à la fois rapporté à la superficie du territoire et à la population). Le SAM propose de réaffecter certaines routes aux modes actifs et de créer des voies réservées aux transports en commun, mobilisant moins de 10% du réseau routier existant. Il propose également un nouveau régime de vitesses pour les routes existantes :
– des voies structurantes (limitées à 90km/h et à 110km/h pour les autoroutes), sur lesquelles circulent les cars cadencés (sur voies réservées), et le long desquelles il sera nécessaire d’aménager des sites propres pour les modes actifs,
– des voies de proximité (limitées à 50km/h et jalonnées pour des cyclistes), sur lesquelles circuleront en particulier les cars de rabattement,
– des voies conviviales, sur lesquelles circuleront uniquement des vélos, piétons et véhicules intermédiaires, limités à 30km/h. Des exceptions pour les riverains et engins agricoles seront accordées.
Mise en pratique et création d’un persona : Mireille, personne âgée dans les Hautes-Alpes
Aujourd’hui, Mireille a 75 ans et elle habite à Saint Apollinaire, un village à 1 500 m d’altitude dans les Hautes Alpes. L’arrêt de bus le plus proche est à Chorges, à 9 km de chez elle, où se situe également le marché. Elle n’a pas de solution en transport en commun pour se rendre à Gap de manière hebdomadaire pour ses soins hospitaliers ou à Chorges pour faire ses courses. Elle fait régulièrement appel à ses proches ou ses voisins pour l’y conduire en voiture, mais le trajet vers Gap est de 40 minutes, ce qui est contraignant. Elle n’est pas à l’aise avec l’informatique et craint de se tromper dans les horaires de bus.
Avec le Système Alternatif de Mobilité, une nouvelle option s’offre à elle : un bus de rabattement passe dans sa ville toutes les 30 minutes et l’amène à Chorges en 15 minutes. Elle peut ensuite prendre un car cadencé qui l’amène à Gap en 25 minutes pour ses soins hospitaliers, ou faire ses courses sur place puis rentrer chez elle en autonomie. La fréquence et la régularité des horaires de passage lui facilitent la vie et elle n’a pas besoin de consulter des grilles en ligne. De plus, l’accompagnateur à bord du car cadencé l’aide souvent à monter et descendre et s’assure qu’elle descend au bon endroit.
Une méthodologie réplicable
Le SAM est pensé pour être un système performant et compétitif avec la voiture individuelle en termes de coût, de rapidité et de fiabilité. Voici quelques éléments de méthode, et les résultats chiffrés à l’échelle départementale et nationale :
BL évolution a défini 4 typologies de départements pour le territoire français :
– des département ruraux faiblement denses (type 1)
– des départements à densité faible proche d’une aire urbaine métropolitaine (type 2)
– des départements peuplés dotés d’une ville dominante et d’un maillage de villes secondaires (type 3)
– des départements polarisés par une ville majeure dont l’aire urbaine s’étend sur la majeure partie du territoire (type 4)
La carte suivante fait apparaître les départements (hors Corse et DROM, non intégrés à ce travail), classés selon les quatre types décrits plus haut, à l’exclusion des départements d’Île-de-France. Parmi eux, nous avons retenu 4 départements, correspondants à 4 typologies différentes pour réaliser nos modélisations cartographiques : La Creuse (type 1), les Hautes Alpes (type 2), la Meurthe-et-Moselle (type 3) et la Gironde (type 4).
Quels coûts pour un tel système ?
Pour un système aussi ambitieux, le coût pourrait représenter un frein non négligeable. Ce coût varie à l’échelle de chaque département en fonction de sa superficie, son linéaire de voirie, sa population etc… Nous avons réalisé une extrapolation à l’échelle de la France. Cette dernière nous permet de chiffrer les coûts d’investissement et de fonctionnement pour chacune des mesures à mettre en œuvre pour rendre ce SAM possible. Le montant total obtenu s’élève à 72 milliards d’euros d’investissement et 30 milliards d’euros de fonctionnement chaque année. Ces coûts sont importants, mais peu conséquents mis en regard avec ceux du système voiture actuel. Une récente étude du FVM (Combien coûte le système voiture en France ? 2025) estime le coût du système voiture à 300 milliards d’euros chaque année (soit plus de 10% du PIB national). Ce système alternatif coûterait moins cher, à la fois aux usagers et aux pouvoir publics.
Quels effets en termes de réduction de CO2 ?
Pour les 4 départements étudiés par BL évolution (Creuse, Hautes Alpes, Meurthe et Moselle et Gironde) l’empreinte carbone individuelle liée aux transports est divisée par 10 à l’horizon 2050 par rapport à 2022. Pour 3 des 4 départements étudiés, le SAM permet même de laisser plus de place aux autres secteurs dans le « budget carbone » des ménages.
Le graphique suivant montre l’évolution des parts modales pour le département de Meurthe-et-Moselle. Dans le département, en 2050, la voiture ne représente plus que 2% des kilomètres parcourus, alors que les cars cadencés, bus de rabattement et trains totalisent désormais 80% de la somme des kilomètres effectués. Le reste se partage entre le Transport à la Demande (2%), les Véhicules Intermédiaires (5%), les VAE (3%), les vélos mécaniques (5%) et la marche (3 %). Cela permettra une réduction de -91% des émissions de CO2 par rapport à 2020.
Le SAM apparaît donc comme un système fonctionnel, inclusif et accessible, qui permet de garantir un « droit universel à la mobilité » de façon plus tangible que la voiture. Réaliste en termes de coûts, particulièrement en regard du coût actuel du système voiture, il répond à la question insoluble de la décarbonation des mobilités du quotidien, en offrant une trajectoire à la hauteur des enjeux climatiques.
Vous souhaitez modéliser un SAM pour votre territoire ? Grâce à cette méthodologie, nous pouvons réaliser en quelques jours une carte, et estimer les coûts d’un tel système à l’échelle d’une région, d’un département ou d’un EPCI. Le système étant conçu pour fonctionner avec les infrastructures existantes, sa mise en œuvre peut être très rapide. N’hésitez pas à contacter nos équipes pour une étude complète !