À en croire les objectifs de transition écologique qu’elle s’était fixés par le passé, la France semble incapable de s’aligner sur une trajectoire limitant le réchauffement climatique à 1,5°C. Les mesures proposées par le gouvernement, notamment dans sa Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), pour répondre au défi climatique et social vont dans le bon sens mais sont largement insuffisantes. Son ambition de neutralité carbone à horizon 2050 se heurte au manque de moyens alloués pour atteindre ses objectifs. Ses efforts doivent être doublés, voire triplés pour prétendre rejoindre une trajectoire 1,5°C. Que faut-il faire concrètement pour être à la hauteur de ces ambitions ?

Voici 10 actions tirées de notre étude « Comment s’aligner sur une trajectoire compatible avec les 1,5°C ? », pour que la France accélère sa transition écologique.

 

1 -Prôner la sobriété énergétique

Il faudrait une réelle rupture sociétale basée notamment sur la sobriété, véritable angle mort de nos politiques publiques et de nos modèles économiques.

La sobriété énergétique est pourtant un élément incontournable du scénario de transition énergétique. Sa mise en œuvre dans les politiques publiques reste encore souvent mal comprise alors qu’il s’agit d’un impératif pour le climat. Cela peut être par exemple : interdire certaines pratiques commerciales nocives pour le climat, encadrer la publicité, ne plus subventionner certains secteurs, accompagner socialement le démantèlement de pans complets de l’économie au profit des secteurs d’avenir comme la formation dans la rénovation énergétique.

2 – Favoriser des bâtiments plus sobres, pour une transition écologique juste et durable

Parmi les actions proposées sur le logement par le gouvernement dans sa SNBC, peu visent à favoriser la sobriété. Les bâtiments représentent pourtant le premier secteur consommateur d’énergie en France. Les mesures se concentrent sur le nécessaire remplacement des chaudières ou de l’isolation des logements. Cependant, les objectifs visés ne sont pas à la hauteur des enjeux. La stratégie du gouvernement prévoit 500 000 rénovations par an. Entre 2020 et 2023, 2,3 millions de dossiers MaPrimeRénov’ ont été déposés, dont 505 000 en 2023, mais un grand nombre concernent des travaux de rénovation à faible impact, par manque de moyens ou simplement parce que nous manquons d’artisans suffisamment qualifiés.

Notre étude montre qu’il faudrait en réalité doubler cet objectif en atteignant 1 000 000 de logements rénovés par an et également doubler les gains énergétiques obtenus après rénovation pour se placer sur une trajectoire à 1,5°C.

3 – Orienter les transformations sectorielles et technologiques vers la durabilité

Les transformations sectorielles et technologiques ne sont pas suffisantes et pourtant nécessaires ! Attendre de potentielles ruptures technologiques est un pari dangereux que nous ne pouvons pas nous permettre.

Les actions proposées par le gouvernement, par nos politiques locales d’aménagements ou par nos entreprises s’inscrivent bien souvent dans une perspective d’amélioration continue de l’efficacité technologique de nos usages actuels sans proposer aux citoyens le cadre permettant la nécessaire remise en question globale de nos modes de vie. Car limiter le réchauffement climatique à 1,5°C impliquerait une rupture globale avec le système économique actuel et l’organisation de notre société.

Dans l’industrie, des évolutions favorables à la durabilité des produits voient le jour pour lutter contre l’obsolescence programmée, comme l’économie circulaire. La multiplication des équipements électriques devrait nous inciter à modérer leur utilisation pour que leur impact ne soit qu’un doublement de ces équipements d’ici 2050 (plutôt qu’un triplement).

4 – Baisser les émissions GES liées à l’agriculture et l’importation

Peu de mesures actuellement proposées permettent d’envisager une baisse des émissions de GES des biens importés et de l’agriculture. Or à eux 2, ces secteurs représentent plus de 50% de l’empreinte carbone des Français.

Le secteur agricole est la deuxième source d’émissions de gaz à effet de serre (GES), en France, après le secteur des transports, avec 85 millions de tonnes équivalent dioxyde de carbone (MtCO2eq) émises en 2021, soient 19 % du total des émissions à l’échelle nationale. Stocker du carbone dans le sol et la biomasse, développer l’agroforesterie, réduire la consommation d’énergies fossiles sur l’exploitation… les pratiques agricoles susceptibles de favoriser le stockage de carbone par l’agriculture ou de réduire ses émissions de GES sont nombreuses. Pour les mettre en œuvre, nous devons intégrer les leviers de décarbonation de l’industrie agroalimentaire dans une démarche globale de restructuration du système alimentaire.

La France a décidé de prendre en compte l’empreinte carbone pour le suivi de ses politiques publiques. D’après l’article 173 de la Loi de Transition Energétique pour une croissance verte, « la Stratégie Bas Carbone veille à ne pas substituer à l’effort national d’atténuation, une augmentation du contenu carbone des importations ».

5 – La transition écologique passe aussi par une transition des mobilités

Peu d’actions sur la mobilité sont proposées par le gouvernement. La SNBC est deux fois moins ambitieuse que les préconisations de notre étude. Par exemple, ce projet d’Etat prévoit un trafic automobile stable d’ici à 2050 tandis que notre étude montre qu’il faudrait diviser par 2 le nombre de véhicule en circulation dès 2030.

Le télétravail, l’écoconduite, la limitation de l’étalement urbain ou le développement des alternatives à la voiture individuelle sont des exemples de solutions à mettre en place, pouvant être suivies de manière individuelle et être affirmées par le gouvernement de manière plus ambitieuse.

6 – La société civile et les politiques doivent travailler ensemble

Au cours des dernières années, on a pu voir la montée en puissance de la prise de conscience des enjeux climat et biodiversité auprès des citoyens et pas seulement la jeunesse. L’affaire du siècle, les marches pour le climat, Extinction Rébellion : le nombre de personnes déjà sensibilisées n’a jamais été aussi important et surtout jamais aussi visible. L’argument écologique est devenu un prérequis pour la quasi-totalité des listes aux élections européennes, et le sera certainement pour les municipales à venir.

La prise de conscience des citoyens des enjeux énergie-climat n’a jamais été aussi réelle et visible, à tel point que la société civile a pris de l’avance sur la politique sur ce sujet. Mais pour approfondir ses actions et leur donner plus d’ampleur, elle a plus que jamais besoin de la politique ! Or, dans le même temps, on assiste à une remise en question dans tous les pays occidentaux des politiques en faveur de l’environnement.

Par exemple, on parle au citoyen de sobriété et d’efficacité énergétique, de mobilité douce ou encore d’agriculture de proximité tandis qu’on agrandit des aérogares, on ferme des lignes de train ou on voit les députés défendre un projet d’autoroute pourtant déclaré illégal par le juge administratif. Faute de courage politique ou de compréhension profonde du problème, on fait peser toute la réussite de la transition sur le citoyen qui doit changer son mode de vie. Certes c’est absolument nécessaire, mais quand il essaye le citoyen ne trouve pas un monde cohérent et adapté à des nouveaux modes de vie sobres en carbone.

7 – Développer les formations aux enjeux énergie-climat

Il nous faut d’urgence accélérer pour toutes et tous la compréhension des enjeux énergie-climat qui sont devenus une priorité citoyenne au même titre que savoir lire, compter et écrire. L’ampleur du sujet n’est pas encore bien saisie au vu des nombreuses confusions qui sont faites : par exemple l’énergie ne se résume pas qu’à la question du nucléaire dans notre production d’électricité (ce dernier ne concerne que 30% de notre consommation d’énergie et est très peu émetteur de gaz à effet de serre).

La faute à qui ? Aux citoyens ? Aux jeunes ? Aux responsables politiques ? Il est urgent de bien former les élus car beaucoup de solutions sont à trouver à l’échelle locale, pour ainsi mettre en cohérence les politiques nationales avec le discours de sensibilisation à destination du citoyen.

8 – Opérer une transition vers un mode de vie bas carbone

Le citoyen ne peut pas agir seul car nos sociétés ne sont pas adaptées à un mode de vie bas carbone. Selon les recommandations scientifiques, il faudrait se limiter à 2 tonnes de CO2 par an et par habitant pour restreindre le réchauffement climatique.

Cependant, vivre avec un budget de 2 tonnes de CO2 par an est un défi herculéen dans une société qui nous bombarde de publicités pour des choses inutiles, dans un modèle d’urbanisme construit pour et par la voiture individuelle, dans des villes et des campagnes où se nourrir sans déchets, sans produits transformés ou importés est un véritable parcours du combattant.

9 – Les entreprises et les territoires doivent conduire à un changement de mode de vie

Certaines entreprises pionnières, territoires et même citoyens, parviennent à changer les modes de vie en cohérence avec les enjeux en cours. Ensemble, ils ouvrent des voies inspirantes qui permettront à d’autres d’expérimenter de nécessaires transformations sociétales.

Partout, il faut aussi mettre des moyens sur l’investissement (rénover des logements, construire des infrastructures cyclables, accompagner des agriculteurs dans leur transformation…). Un des nœuds du problème est que cela reste moins lucratif que la plupart des mécanismes économiques actuels. Qui veut investir dans de la rénovation performante de son habitation qui rapporte 2% sur 20 ans quand on peut faire des profits de 5 à 10% sur 5 ans sur d’autres produits financiers ? Il faut donc changer les règles du jeu pour que la dynamique s’inverse.

Les réponses à la transition écologique ne peuvent pas être les mêmes quels que soient les territoires. Au contraire, il nous faut trouver le foisonnement d’initiatives et d’aménagements, tous différents, tous contextualisés, qui s’adapteront le mieux aux usagers locaux. Beaucoup d’études le montrent, des élections le confirment, la France se fracture. Le développement humain basé sur un développement et une accumulation matériels ne profite pas à tout le monde et ce système montre depuis longtemps ses limites. Outre les dégâts environnementaux qui sont de plus en plus importants et visibles, ce modèle creuse les inégalités, génère du malaise social et déstabilise notre démocratie.

10 – Mettre des moyens sur l’animation pour sensibiliser à la transition écologique

Pour comprendre les enjeux et concevoir des réponses suffisamment proportionnées et contextualisées, il faut mettre d’énormes moyens sur l’animation pour toucher les jeunes, les acteurs économiques et les citoyennes et citoyens dans les quartiers et les territoires. Grosso modo, il faudrait 1 animateur pour 2000 habitants sur chaque territoire afin de pouvoir former tout le monde, concevoir de nouveaux modèles d’affaire et accompagner les changements de mode de vie.

Nous devons complètement changer notre logiciel de pensée.

Pour réussir, la transition écologique doit offrir à tous les Français et les Françaises de nouvelles perspectives de sens et d’épanouissement. La sobriété carbone nous impose de revoir complètement cette aspiration à la technologie, à la vitesse et à la consommation matérielle que notre société a érigée en quelques années comme des Graals absolus. Le local, l’engagement, le lien social, l’immatérialité et la spiritualité doivent devenir les principaux vecteurs de l’épanouissement des Français. Pour cela, les politiques publiques et les modèles d’affaire, peu habitués à naviguer à travers ce champ des possibles, doivent se réinventer. C’est la seule condition qui peut nous permettre d’inclure le développement humain dans les limites de la biosphère.