Les forêts, véritables poumons de la planète, jouent un rôle crucial dans le cycle de l’eau et dans le maintien de la biodiversité, abritant notamment plus de 80 % des espèces terrestres. Pourtant, la disparition alarmante de ces écosystèmes – avec une superficie équivalente à plus de 10 % des forêts mondiales ayant disparu entre 1990 et 2020 [1], met en péril leur capacité à fournir des services écosystémiques vitaux, dont le stockage de la moitié des émissions de gaz à effet de serre. Face à ce constat, l’Europe a pris des mesures significatives avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation visant à lutter contre l’importation de produits contribuant à la déforestation. 

Dans ce contexte, l’Institut de la Finance Durable (IFD) publie un rapport intitulé « Lutte contre la déforestation : panorama des stratégies de la place financière de Paris », qui rappelle les enjeux et leviers à disposition des institutions financières et souligne les efforts de certains acteurs financiers français pour lutter contre la déforestation. Cette situation soulève plusieurs questions importantes : 

> Comment la déforestation représente-t-elle un enjeu environnemental et financier pour les investisseurs ? 

> Quels sont les leviers à la disposition des investisseurs pour agir contre la déforestation ? 

> Comment les investisseurs peuvent-ils s’engager de manière concrète dans la lutte contre la déforestation ?

La déforestation : enjeu environnemental et risque financier pour les investisseurs

Enjeux biodiversité et climat

La déforestation est un enjeu majeur pour le climat et la biodiversité. En effet, elle contribue à environ 15 % des émissions globales de gaz à effet de serre dans le monde [1], et entraîne la destruction de nombreux habitats naturels. C’est une des causes majeures de la perte accélérée de biodiversité et génère un risque significatif tant pour la biodiversité que pour les droits des peuples autochtones dans certaines régions. 

Pour les entreprises, elle induit également des risques économiques et financiers : 

  • Les risques physiques, liés à la perte des services écosystémiques fournis par les forêts (tels que le stockage du carbone et la régulation du climat, la fourniture de ressources, ou encore la protection de la stabilité des sols), 
  • Les risques de transition (incluant les risques réglementaires, de marché ou réputationnels) surtout pour entreprises impliquées dans des activités de déforestation ou qui dépendent de matières premières telles que le bois, le soja, l’huile de palme ou le bœuf provenant de zones déboisées.

Par exemple, l’industrie pharmaceutique, qui dépend à 25 % de composés issus de forêts tropicales pour ses médicaments, ou encore l’agriculture, générant 90 % de la déforestation et donc très exposée aux risques de transition, illustrent les liens forts de certains secteurs avec les forêts. Les institutions financières, par leur soutien financier aux entreprises engagées directement ou indirectement dans la déforestation, sont confrontées à ces mêmes risques, soulignant la nécessité d’intégrer la gestion de l’exposition à la déforestation dans leurs décisions stratégiques.

Des risques de transitions croissants avec une prise de conscience forte et des réglementations ambitieuses

La France, en adoptant sa Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNLDI) en 2018, vise à éliminer d’ici 2030 l’importation de produits contribuant à la déforestation, notamment dans les secteurs du cacao, de l’hévéa, du soja, de l’huile de palme, du bois, du bœuf et de leurs coproduits. Une mise à jour de la SNLDI, prévue cette année, inclura des mesures pour impliquer les acteurs financiers dans cette lutte. 

Parallèlement, le Parlement européen a mis en place en juin 2023 une réglementation contre la déforestation importée. Cette loi vise à réguler l’importation sur le marché européen de produits liés à la déforestation et à la dégradation des forêts. Une révision en 2025 pourrait étendre ces exigences aux institutions financières.

Enfin, de plus en plus d’autres parties prenantes (clients, consommateurs, société civile ou investisseurs) ont des attentes fortes de la part des entreprises et institutions financières sur la prise en compte de cet enjeu. 

Les leviers d’action pour les investisseurs

Les investisseurs, via leur portefeuilles, peuvent être à la fois tenus responsables pour une partie des impacts générés par les entreprises en portefeuille mais ont également des leviers d’actions pour accompagner une évolution des pratiques. Plusieurs leviers sont à leur dispositions comme des politiques d’exclusions, des politiques sectorielles ou encore l’engagement de leurs participations. Ces leviers ont été analysés par l’IFD dans leur rapport.  

Exclusions

Une politique d’exclusion permet de ne pas investir dans un secteur ou une pratique spécifique définie (par exemple des activités ayant lieu sur une zone protégée ou d’importance pour la biodiversité).

Une grande majorité des acteurs financiers qui ont contribué au rapport de l’IFD adoptent des politiques d’exclusion ciblant la déforestation, principalement envers les producteurs et les distributeurs de certaines marchandises. De plus, pour une portion significative, ces politiques prennent en compte le lieu des activités financées.

Politiques sectorielles 

Les politiques sectorielles sont plus souples que les politiques d’exclusion et permettent une analyse plus fine des pratiques possibles (négatives ou positives) dans un même secteur. Elles permettent aux investisseurs d’accompagner certains secteurs clés pour l’économie vers un changement de pratique en investissant dans les pratiques vertueuses et en n’investissant pas dans les pratiques néfastes pour la déforestation.

Le secteur financier français se distingue à l’international par sa gestion proactive des risques liés à la déforestation. Ses initiatives varient et sont interconnectées, avec une intégration significative des enjeux de la déforestation au sein des stratégies d’entreprises, majoritairement dans le cadre de leurs initiatives de préservation de la biodiversité. Un nombre plus restreint d’organisations affiche des directives spécifiques à la déforestation, distinctes de leurs autres politiques. Les efforts de lutte contre la déforestation se manifestent principalement à travers des mesures concernant des produits agricoles spécifiques, tels que l’huile de palme, le soja, le bétail et le bois, soulignant l’importance de ces denrées dans les approches adoptées contre la déforestation. Bien que l’accent soit mis sur la déforestation, il semble  que l’enjeu principal est la conservation des écosystèmes en général et la prévention de leur transformation. Certains acteurs prennent en compte et intègrent cette approche dans leurs stratégies.

Engagements des participations

Enfin un dernier levier d’action, une fois la phase d’investissement terminée, est l’engagement et le dialogue avec les entreprises en portefeuille. Il peut prendre différentes formes : rendre compte des impacts et des actions mises en œuvre, ouvrir des échanges sur les actions et stratégies pertinentes, impulser des premiers travaux d’analyses, etc.

Collaborer avec des experts en prévention de la déforestation améliore et dynamise l’adaptation des entreprises à des pratiques respectueuses de l’environnement. De nombreuses organisations proposent déjà ce soutien.

Comment commencer à s’engager ? Les premières étapes

Pour commencer à s’engager sur la prise en compte de l’enjeu de déforestation, une institution financière doit d’abord comprendre les enjeux des secteurs et de ses portefeuilles, puis définir son ambition et la stratégie qui en découle sur la déforestation.

Comprendre les enjeux de son portefeuille

La première étape consiste à comprendre l’exposition de son portefeuille existant au risque de déforestation, mais également comprendre les enjeux des secteurs et entreprises envisagées dès l’étape de pré-investissement. 

Une majorité significative des acteurs interrogés au cours du rapport de l’IFD privilégie l’adoption de certifications pour soutenir leurs initiatives anti-déforestation et affiner leurs politiques d’exclusion, avec une préférence pour les certifications RSPO (huile de palme), RTRS (soja), FSC et PEFC (bois). Par ailleurs, un large consensus se dégage autour de l’usage de bases de données spécialisées pour le suivi de l’exposition à la déforestation dans les portefeuilles d’investissement, avec Forest 500, Trase, SPOTT et CDP Forest comme outils principaux. L’introduction de Forest IQ fin 2023, développé par Global Canopy, Stockholm Environment Institute et Zoological Society of London, marque une étape importante en offrant des analyses détaillées sur la performance de plus de 2000 entreprises dans le domaine de la déforestation, captant ainsi l’attention et l’intérêt marqué des professionnels du secteur.

Définir une ambition et une stratégie (spécifique ou intégrée dans une stratégie biodiversité/environnementale plus large)

Une fois le premier état des lieux réalisé, les institutions financières peuvent définir leur ambition et les leviers à activer pour l’atteindre. Ceux-ci peuvent prendre différentes formes et s’intégrer dans une stratégie biodiversité ou environnementale plus large.

Les institutions financières s’engagent activement contre la déforestation, notamment à travers leur participation à des initiatives internationales telles que la Finance Sector Deforestation Action (FSDA) et l’Investors Policy Dialogue on Deforestation (IPDD). Ces efforts visent à éliminer les risques liés à la déforestation dans les investissements et prêts et encouragent un dialogue accru entre investisseurs et entreprises. Pour renforcer ces stratégies, il est essentiel de développer des outils comme la transparence, la traçabilité et des méthodologies comparatives. L’objectif est de soutenir les engagements européens et mondiaux pour combattre la déforestation, le changement climatique et protéger la biodiversité.

Agir maintenant

La déforestation a des impacts néfastes sur la biodiversité et le climat, posant un risque économique. Un effort commun à tous les niveaux est essentiel pour leur préservation et durabilité. Les investisseurs jouent un rôle capital en dirigeant les finances vers des pratiques durables, diminuant les investissements préjudiciables, et en encourageant un engagement accru des entreprises. Avec le renforcement des régulations en France et en Europe, ainsi que des attentes croissantes des parties prenantes, il est impératif pour les investisseurs d’agir en faveur de la conservation et de la restauration des forêts, vitales pour l’avenir de la société et de l’économie.

Source : 

[1] https://institutdelafinancedurable.com/app/uploads/2024/03/IFD_Rapport_Lutte-contre-la-deforestation_Panorama-des-strategies-de-la-place-financiere-de-Paris.pdf

Découvrez le rapport complet de l’IFD : https://institutdelafinancedurable.com/app/uploads/2024/03/IFD_Rapport_Lutte-contre-la-deforestation_Panorama-des-strategies-de-la-place-financiere-de-Paris.pdf

Pour aller plus loin, découvrez nos dernières publications et articles sur ce sujet :

https://www.bl-evolution.com/publication/etude-deforestation-les-entreprises-europeennes-et-la-lutte-contre-la-deforestation-engagement-ou-illusion/

https://www.bl-evolution.com/deforestation-importee-une-nouvelle-reglementation-europeenne-en-action/ 

Vous aussi, suivez les engagements contre la déforestation et contribuez à la préservation du vivant ! Contactez-nous.