Dans l’après-guerre, un modèle agricole productiviste, soutenu par la PAC (Politique Agricole Commune) et les politiques nationales, s’est imposé dans le but d’augmenter considérablement la production alimentaire. Ce modèle représente le triomphe du progrès technique (mécanisation, intrants chimiques, semences, …) sur une agriculture plus paysanne. L’agriculture est ainsi devenue de plus en plus dépendante à l’énergie fossile, aux engrais et pesticides.

Dans les dernières décennies, des études ont commencé à émerger et à pointer l’impact important de ce modèle sur les écosystèmes du fait d’une contribution majeure au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité. Depuis quelques années, le concept de l’agriculture régénératrice a émergé faisant de l’agriculture une manière de régénérer la biodiversité pour contrer son érosion mondiale. Ce récit séduit. Toutefois, le manque de définition consensuelle de cette agriculture crée un risque pour l’agriculture régénératrice de devenir un jour synonyme d’un greenwashing agricole, que l’on pourrait appeler un « agreenwashing ».

 

L’agriculture responsable de 80% de la déforestation dans le monde

En 2019, l’agriculture était responsable de près de 80% de la déforestation et 70% de l’utilisation d’eau mondiale. 

En ce qui concerne les sols, un groupe d’experts de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) a conclu en 2015 qu’1/3 des sols du monde étaient dégradés alors qu’il fallait jusqu’à 1000 ans pour former un centimètre de sol. Les causes sont multiples : l’érosion, le tassement, l’imperméabilisation, l’acidification, la perte de matière organique, l’appauvrissement en nutriments, la pollution et d’autres phénomènes causés par des pratiques de gestion non durable des terres.

Face à ce constat alarmant, de nouvelles tendances agricoles ont émergées autour du concept d’agroécologie dans les 50 dernières années. D’abord confidentielles, elles ont progressivement acquis une renommée les plaçant dans le débat public.

Parmi elles, l’agriculture régénératrice (ou régénérative) est la dernière arrivée, succédant au paradigme de l’agriculture de conservation. Elle propose d’aller plus loin que la conservation des sols, en proposant la régénération des processus biologiques des sols.

Même si cette forme d’agriculture ne dispose pas d’une définition largement établie pour le moment, de grands principes se dégagent :

  • Régénérer la matière organique des sols (permettant ainsi le stockage du carbone et donc visant un bilan carbone « négatif » de l’agriculture)
  • Régénérer la biodiversité de parcelles dégradées par le modèle intensif actuel en rétablissant les processus biologiques des sols (en lien avec le cycle de l’eau et de l’azote notamment)

Pour cela un certain nombre de pratiques sont encouragées :

  • Éviter le travail du sol
  • Éviter ou minimiser les intrants (produits phytosanitaires et engrais)
  • Le maintien d’un couvert végétal

À travers cette gestion dite holistique, le but n’est pas uniquement de limiter les impacts de l’agriculture sur le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, mais de faire de l’agriculture un « acteur de la solution ». Ce récit séduit beaucoup l’aval des filières et des entreprises du secteur de l’agro-alimentaire et du luxe, qui se sont déjà emparées du sujet (comme Danone ou LVMH). Ainsi, LVMH veut déployer l’agriculture régénératrice pour l’ensemble de ses approvisionnements stratégiques d’ici 2030. Du côté de Danone, l’entreprise a travaillé avec le WWF sur un document définissant les meilleures pratiques d’agriculture régénératrice.

L’objectif affiché est de proposer un nouveau paradigme plus séduisant où les activités auraient un impact positif sur la nature. Ce concept est à inclure dans des tendances plus larges comme l’objectif mondial « Nature positive by 2030 ».
Cet objectif cherche à stopper et à inverser la destruction de la nature causée par nos activités économiques. Il est porté par naturepositive.org et repris par de nombreux acteurs économiques.

 

Quelle différence avec l’agriculture biologique et de conservation ?

L’agriculture régénératrice est proche de l’agriculture de conservation et de l’agriculture biologique qui disposent, elles, de définitions établies voire de cahiers des charges précis.

L’agriculture de conservation repose sur 3 axes majeurs :
•  Abandon du travail du sol
•  Couverture permanente du sol
•  Rotation longue

Concrètement, il s’agit de semis direct sous couverture végétale.

L’agriculture biologique repose sur un cahier des charges précis excluant les OGM et limitant l’usage des produits de synthèse (comme les pesticides) mais n’excluant pas le travail du sol.

D’autres pratiques d’agroécologie comme l’agroforesterie ou le maraîchage sol vivant (MSV) reposent aussi sur l’utilisation de mécanismes biologiques pour préserver la biodiversité et diminuer les intrants.

 

Privilégier les pratiques concrètes et les objectifs chiffrés sur les dénominations ?

Malgré ce récit très prometteur, l’agriculture régénératrice ne dispose pas de définition largement acceptée ou d’un cadre réglementaire. Comme l’ont souligné 3 chercheurs de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), la base scientifique est peu fournie et le terme peut renvoyer à des utilisations très différentes voire incompatibles. Ce qui conduit à alerter sur le risque que l’agriculture régénératrice puisse un jour devenir un synonyme d’un greenwashing agricole, que l’on pourrait appeler un « agreenwashing ».

Ainsi, le récit de l’agriculture régénératrice offre de belles perspectives et pourrait entraîner de nombreux acteurs dans une démarche vertueuse, que l’agroécologie ou d’autres agricultures ont peiné à faire. Néanmoins, le terme est pour l’instant trop peu précis pour être opérationnel.

Aussi, s’engager sur la voie d’une agriculture plus respectueuse de la nature semble reposer sur la mise en place de pratiques positives plutôt que sur l’utilisation de termes comme « régénératif ». En effet, il existe déjà de nombreux termes prônant une agriculture plus en phase avec la nature mais ce qui compte finalement est le choix des pratiques mises en place dans les champs et leurs effets pour le climat et la biodiversité.

Il serait plutôt nécessaire de définir et communiquer sur des pratiques agricoles, assorties d’objectifs chiffrés, visant à augmenter la teneur en matière organique des sols, diminuer les consommations de ressources et les apports de fertilisants, augmenter la qualité de l’eau tout en se fondant sur des labels existants et reconnus (comme l’Agriculture Biologique) et en lien avec des limites écologiques locales.