Autoroute A69, contournement de Rouen, de Strasbourg, autoroute du Trièves, anneau des sciences à Lyon… La contestation des projets routiers autrefois limitée à une opposition locale a gagné une considération nationale. Par la multiplication des échelles et la diversité des domaines impactés (social, économique, écologique, emploi, santé…), nous ne pouvons pas nous faire un avis sur leur légitimité dès le premier coup d’œil.

Par rapport aux enjeux de mobilité qu’ils entendent solutionner, on peut se demander si ces projets sont les solutions les plus pertinentes aux problèmes présentés. Pour y répondre, on peut distinguer deux types de projets qui répondent à des enjeux en partie distincts : les contournements d’agglomération et les autoroutes entre deux aires urbaines.

Les contournements routiers sont dépassés par l’induction du trafic

Les projets de contournement d’agglomération ont pour but de réduire le trafic de transit à l’intérieur d’une zone. En diminuant ce trafic indésirable, la circulation devient plus fluide, la qualité de l’air s’améliore et les espaces deviennent plus vivables. Dans certains cas, notamment pour les petites et moyennes villes situées sur un axe de transit, ces contournements sont nécessaires pour maintenir un centre attractif et vivant, d’autant plus quand le transport par rail du fret est impossible du fait de l’absence de certaines lignes. Pour les plus grosses agglomérations, les retombées bénéfiques restent théoriques si les contournements ne s’accompagnent pas de mesures d’apaisement du trafic : zone à trafic limité, réduction des vitesses, amélioration de la marchabilité et la cyclabilité. A l’inverse, l’apparition d’un trafic induit est quasi systématique. Plusieurs phénomènes urbanistiques sont en cause dont l’étalement urbain résidentiel, l’implantation des activités en périphérie mais également des phénomènes purement techniques. Le mathématicien Dietrich Braess a démontré en 1968 que l’ouverture d’une nouvelle route peut allonger le temps de trajet des véhicules et créer de la congestion. Si la solution aux problèmes de congestion ne réside pas dans la création de nouvelles infrastructures, elle pourrait au contraire se trouver dans la transformation stratégique et progressive de certaines routes en voies réservées aux transports en communs et aux modes actifs [1].

Les voies rapides rendent acceptables les déplacements sur des distances de plus en plus longues

Les routes et autoroutes entre deux aires urbaines visent à réduire le temps de trajet ou à augmenter la capacité de trafic d’une liaison. Les objectifs poursuivis sont le désenclavement des territoires, l’amélioration de leur attractivité et de leur dynamisme ou l’accès à l’emploi des habitants. Elles rapprochent temporellement des espaces distants et incitent les actifs à accroître les distances domicile-travail. Ainsi de nouveaux espaces se retrouvent à un temps de parcours tolérable des zones d’emplois entraînant une urbanisation des espaces ruraux situés entre ces pôles [2]. On constate cependant qu’elles peuvent conduire à une perte de dynamisme des centres-villes des petites et moyennes villes car elles sont concurrencées par les périphéries situées plus près des infrastructures routières. Ces dernières sont rendues plus attractives car elles sont moins chères et localisées sur le trajet des automobilistes [3]. Bien plus que de répondre à un besoin de desserte existant, les constructions de routes créent de nouvelles populations dépendantes de leur voiture pour leurs activités quotidiennes. Les espaces nouvellement urbanisés autour d’une autoroute sont souvent éloignés des gares et les habitants ne peuvent se retourner facilement vers cette solution de transport.

La route et le rail, des modes en concurrence plus qu’en synergie

Les nouveaux projets autoroutiers concurrencent ainsi le mode ferroviaire qui serait la solution alternative la plus pertinente du point de vue écologique et environnemental. Le train est l’offre de mobilité la plus pertinente pour les trajets de longue distance et répond à des enjeux similaires aux autoroutes. L’augmentation de la fréquence et de la fiabilité sont des priorités pour rendre les lignes régionales attractives, chemin qui est en train d’être pris par l’Allemagne via le Deutschlandtakt [4]. Pour que le train puisse attirer un plus large public et notamment un public qui s’est installé plus loin des centres urbains, l’intermodalité train-vélo devrait être développée. Dans les territoires peu denses ou n’étant pas pourvus de lignes ferroviaires, le bus peut répondre à la plupart des besoins en déplacements à condition d’avoir une offre assez bien structurée [5]. La création d’un réseau de transport en commun efficace nécessiterait des investissements importants des pouvoirs publics à l’inverse d’une autoroute à péage financée principalement par une société privée. L’argument du coût est souvent utilisé pour justifier l’absence de politique ferroviaire ambitieuse mais il est à relativiser au regard des externalités négatives causées par la voiture [6].

La pertinence d’un projet routier varie donc selon les contextes et les actions complémentaires réalisées. Loin de répondre aux problèmes affichés, ces infrastructures créent bien souvent les conditions de leur insuffisance et le besoin en nouveaux projets routiers. Encourageant une urbanisation extensive, elles rendent plus difficile et coûteuse la structuration d’une offre de transport en commun répondant aux mêmes enjeux de mobilité. L’engouement pour ces projets ne se trouve pas dans leur pertinence mais parce qu’ils sont inscrits dans une logique court-termiste de continuité du système tout voiture qui ne prend pas en compte l’avancée des connaissances dans le domaine des mobilités.

La France poursuit des projets incompatibles avec ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre

En modélisant les émissions liées à un projet routier à Nantes, le Cerema a montré que l’impact carbone est principalement lié à l’augmentation des distances et de la vitesse, et par ailleurs que “le budget carbone ne peut être respecté que si la décarbonation du parc de véhicule est très rapide et s’accompagne d’une maîtrise de la demande[7]. L’incompatibilité avec les objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) n’est pas propre au domaine des mobilités et peut se retrouver en France dans de nombreux grands projets. Sur les 65 projets analysés dans l’étude “Projet local, impact global”, aucun d’eux n’est catégorisé comme pleinement compatible. A l’inverse, 8 d’entre eux sont jugés incompatibles. “En fait, ce que démontrent ces projets, c’est qu’aujourd’hui, faute d’une vision claire du futur et d’un véritable projet de société compatible avec les ambitions en matière de transition écologique, nous nous enfermons dans une logique de continuité tendancielle qui fait voler en éclat nos capacités à atteindre nos objectifs.[8]

Ainsi, si les arguments liés à la mobilité, mis en avant pour légitimer ces projets, ne sont pas valables techniquement, il apparaît que ces projets sont portés par une vision plus politique que solutionniste. On peut alors s’interroger sur les autres visions politiques répondant différemment aux enjeux sous-jacents dans les projets routiers.

Les alternatives s’inscrivent dans une vision politique tournée vers la sobriété et la proximité

Pour se détacher de cette logique de continuité tendancielle, supposant de continuer à réaliser des projets solutionnant des problèmes auto-créés, on peut se projeter à plus long terme et s’interroger sur l’approche globale et systémique des enjeux. Comment ces projets s’inscrivent en cohérence dans chacun des scénarios “Transition 2050, ADEME” ? [9] Les projets routiers sont principalement au programme des scénarios 3 et 4 et s’accompagnent entre autres de mesures pour décarboner l’automobile : investissements importants dans le développement de la voiture électrique et dans la production d’énergie décarbonée. C’est en portant un regard critique et comparatif sur l’ensemble des mesures prévues dans chaque scénario que l’on peut juger la légitimité de chaque projet.

Les scénarios 1 et 2 s’appuient sur la “sobriété” et la “baisse de la demande de mobilité”, remettant en cause le besoin de se déplacer sur toujours plus de distance, avec par exemple -17% de km parcourus par an et par personne dans le scénario 2 : “La mobilité s’oriente vers plus de proximité avec le développement des trains du quotidien, des vélos cargos, mini-voitures et autres. Dans le transport de marchandises, réduction des volumes et des distances parcourues avec une part du ferroviaire et du fluvial qui fait plus que doubler”.

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Aujourd’hui de nombreux territoires abandonnent leurs projets d’infrastructures pour investir dans les mobilités locales

Certains décideurs publics font aujourd’hui le choix de renoncer ou de stopper l’avancement de projets routiers. Parmi les raisons, l’objectif national d’atteindre zéro artificialisation nette en 2050 (le ZAN), clairement énoncé de la loi Climat et Résilience promulguée en août 2021. Celui-ci implique notamment de reconsidérer la viabilité des projets routiers pour ce qu’ils sont et ce qu’ils entraînent en termes d’étalement urbain et d’artificialisation. Ainsi, le département de Loire Atlantique a ainsi affirmé sa position en écartant une vingtaine de projets routiers, notamment au profit d’un entretien plus soutenu du réseau routier départemental existant et d’un investissement sans précédent en faveur du développement du vélo [10]. Le Conseil d’Orientation des Infrastructures, qui éclaire le gouvernement sur les politiques d’investissement dans la mobilité et les transports, s’est également positionné en faveur de l’abandon du projet autoroutier Poitiers-Limoges, entre autres en raison des impacts environnementaux, tant sur la biodiversité qu’en termes d’émissions les émissions de gaz à effets de serre. Il préconise à la place un aménagement de la nationale existante, permettant aujourd’hui la liaison directe entre les deux agglomérations [11]. L’aménagement de la liaison existante permettra ainsi de maintenir un bon niveau de desserte, sans induire un trafic et des émissions individuelles supplémentaires (puisqu’aller plus vite fait consommer davantage).

Concernant les projets de contournement routiers, le département d’Ille-et-Vilaine a abandonné trois projets de rocades et a mis en place un moratoire sur les projets de construction de routes. Ce dernier était une revendication portée par le collectif “La Déroute des Routes” à l’échelle nationale.

Chez certains de nos voisins européens, la reconsidération de la validité des projets routiers est portée à l’échelle politique nationale : le gouvernement du Pays de Galles a par exemple suspendu tous les projets d’axes routiers, pour qu’ils soient soumis à un examen par une commission s’assurant de leur conformité avec les ambitions climatiques du Pays : neutralité carbone en 2050 [12]. Cet engagement est d’ailleurs porté par tous les États de l’Union européenne depuis le Pacte Vert de 2019 [13].

Les projets routiers sont contestés pour leur impact environnemental et le peu de bénéfices qu’ils apportent aux enjeux de mobilités. Des moyens considérables sont pourtant mis en œuvre pour les mener à bien alors qu’ils pourraient être déployés pour améliorer les mobilités sobres et bas carbone comme le train, le vélo et la marche. En outre, les initiatives prises dans certains territoires laissent penser que la tendance pourrait s’inverser.

 

Sources : 

[1] Hosotte, Pauline. L’évaporation du trafic, opportunités et défis pour la mobilité d’aujourd’hui et demain. Thèse : Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne : 2022.

[2] Bigo, Aurélien. Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement. Thèse : Institut Polytechnique de Paris : 2020.

[3] Genevier, Max. Twitter [en ligne]. [réf du 23 avril 2023]. Disponible sur : <https://twitter.com/Max_Gen/status/1650188244703670275?s=20>

[4] Deutschlandtakt [en ligne]. Disponible sur : https://www.deutschlandtakt.de/

[5] Cureau Mathias. Le transport en commun dans les zones rurales est pertinent quand on croit en lui. Illustration à travers le cas du réseau d’autocars du Bregenzerwald en Autriche. Transports Urbains, 2018/2 (n°133) p.18-21.

[6] Razemon, Olivier, La SNCF coûte moins cher que les accidents de la route, Le Monde, 04/03/2018

[7] Cerema, Le Cerema réalise le bilan carbone des hypothèses d’aménagement de la route Nantes – Pornic [en ligne]. [réf du 18 mai 2022]. Disponible sur : https://www.cerema.fr/fr/actualites/cerema-realise-bilan-carbone-hypotheses-amenagement-route

[8] BL évolution. Projet local, impact global : (in)compatibilité entre les objectifs de transition et la réalité de terrain ? [en ligne]. Mai 2022. Disponible sur : https://www.bl-evolution.com/publication/projet-local-impact-global-incompatibilite-entre-les-objectifs-de-transition-ecologique-et-la-realite-de-terrain/

[9] ADEME, Transitions 2050 : choisir maintenant, agir pour le climat. Novembre 2021

[10] Bertrand, Anne. Le département de Loire-Atlantique met fin à une vingtaine de projets routiers. France Bleu Loire Océan. Décembre 2022.

[11] Gaudens, Laurent. L’autoroute Poitiers-Limoges un peu plus vers la voie de sortie. La Nouvelle République. Février 2023.

[12] Popper, Lou-Eve. Fini les nouvelles routes, annonce le Pays de Galle. Reporterre. Juillet 2021

[13] Vie publique. Pacte vert et paquet climat : l’UE vise la neutralité carbone dès 2050 [en ligne]. [réf du 26 août 2021]. Disponible sur : https://www.vie-publique.fr/eclairage/272297-pacte-vert-et-paquet-climat-lue-vise-la-neutralite-carbone-des-2050.