Financer les infrastructures ferroviaires, une question de transition écologique et de cohésion des territoires.

Dans un contexte de déclin continu du réseau de transport ferroviaire français, la réouverture de la ligne Montréjeau – Bagnères-de-Luchon, après onze ans de fermeture, apparaît comme un symbole fort. Portée par la région Occitanie, cette renaissance ferroviaire pose une question centrale : le train peut-il redevenir un outil structurant pour les territoires, face aux défis écologiques, sociaux et démocratiques ?

Dans le monde ferroviaire français, c’est toujours un événement : le 22 juin, une ligne de train a été réouverte. En l’occurrence, la ligne de chemin de fer reliant Montréjeau à Bagnères-de-Luchon (Haute-Garonne), onze ans après sa fermeture en 2014 pour cause de vétusté. La région Occitanie a investi 67 millions d’euros dans des travaux de régénération de cette ligne de 36 km, inaugurée en 1873 et jamais rénovée entre 1936 et 2024.

La menace du « décrochage » du réseau ferré national

Suivant le classement de l’Union internationale des chemins de fer (UIC), les lignes du réseau national sont réparties en neuf catégories, selon l’importance du trafic. Les six premières catégories comprennent les lignes à grande vitesse, les grandes lignes électrifiées et le réseau francilien, ce qui représente près de 90 % du trafic. Ces lignes sont régulièrement entretenues et modernisées. Les trois dernières, soit un total de 15 000 kilomètres (plus de la moitié du réseau ferré national), ne le sont que lorsque cela devient indispensable pour la sécurité. Elles n’ont souvent pas été électrifiées, ont conservé des systèmes de signalisation obsolètes, et se sont vues affecter des limitations de vitesse afin d’éviter des accidents. Le manque d’investissement et ses conséquences font perdre de l’attractivité aux trains qui y circulent et de la satisfaction aux usagers qui les empruntent.

Depuis dix ans, environ 3 000 kilomètres de ligne ont été neutralisés, fermées et/ou déclassées, et une centaine de gares et de haltes ont fermé : Morlaix-Roscoff, Ussel-Laqueuille, Limoux-Quillan, Abbeville-Le Tréport, une partie de la ligne de Limoges à Angoulême… En près d’un siècle, le réseau ferré national est passé de 42 000 kilomètres en 1938 (à la création de la SNCF) à environ 28 000 kilomètres en 2025. La réouverture de la ligne Montréjeau-Luchon semble être la locomotive qui cache la menace d’un long train de fermetures à venir, à commencer par la ligne entre Guéret et Felletin (plus précisément Busseau-Aubusson-Felletin) dès la fin de cet été, ou Toulouse-Auch fin 2026. Le réseau pourrait encore perdre près de 10 000 kilomètres de lignes (soit plus d’un tiers de son total actuel) d’ici 2040, dont 4 000 à l’horizon 2030, et 1 000 en Occitanie. Des chiffres qui ne sont pas sans rappeler le rapport « Spinetta » paru en 2018, qui préconisait la fermeture de 9 000 kilomètres de ligne. Plus de 2 000 trains circulent chaque jour sur les 4 000 kilomètres de lignes menacées à brève échéance.

En marge de la conférence de financement des transports actuellement en cours, la SNCF a d’ailleurs souligné combien « la pérennité et la performance du réseau structurant sont menacées » et a adressé une mise en garde : faute de trouver 1 milliard d’euros supplémentaire par an dès 2028 (ou mieux, 1,5 milliard), « toutes les régions seraient touchées par un effondrement irréversible de la qualité de service ». Sans moyen de financer des travaux programmés ou jugés nécessaires, on parle non seulement de la fermeture soudaine et définitive de lignes de desserte fine, mais aussi de lignes plus structurantes. Cette réalité, résultat de décennies de sous-investissement, est connue de longue date.

Dans les années 2010, le renouvellement du réseau a été particulièrement négligé. Ses conséquences possibles font redouter un scénario similaire à la déroute dans laquelle le réseau ferroviaire allemand s’est retrouvé plongé, affichant une ponctualité en chute libre (- 20 %, voire – 60 % sur des trains longue distance).

Alors que la France figurait en queue de peloton des investissements en matière de régénération de l’infrastructure, ceux-ci ont été portées à un niveau record depuis 2018 du côté de la SNCF. L’État a minimisé ses efforts budgétaires et s’est délesté sur les régions pour assurer l’entretien des lignes (moins de 10 % du budget national des transports est dédié au ferroviaire), tout en imposant à la SNCF de lui faire remonter plus de cash sous formes de dividendes pour tenter de combler le retard. La compagnie nationale a prévenu qu’elle ne pourrait pas faire davantage d’efforts au vu de ce qu’elle dégage déjà de ses comptes.

Pistes de financement

Le vieillissement et la dégradation du réseau ferré national agitent tant les esprits des acteurs du secteur que d’autres enjeux, pourtant majeurs pour l’attractivité et la vitalité du train, sont renvoyés à l’arrière-plan : l’offre de service, le renouvellement du matériel roulant, et l’intermodalité au niveau des gares et des haltes pour concurrencer l’usage de la voiture individuelle. Sans leur prise en compte, la capacité du train à s’adresser aux besoins des population, à désenclaver les territoires et à répondre à l’urgence écologique serait remise en question. Or, pour les jeunes (lycéens, étudiants et de plus en plus jeunes actifs), les personnes âgées et les personnes sans permis ou sans voiture, le train de proximité constitue une solution de mobilité essentielle y compris pour trouver un emploi et travailler. Les remplacer par des cars augmente les temps de trajet, le sentiment d’isolement, d’injustice, la défiance envers les élus ; elle alimente la perception d’une “France à deux vitesses” dont la deuxième serait déclassée et reléguée, un terreau fertile du vote protestataire. Les cars sont aussi moins attractifs pour les touristes, les professions supérieures ou les métropolitains à la recherche d’un autre cadre de vie et qui ne veulent pas pour autant devenir dépendants de la voiture pour tous leurs déplacements. Mais les enjeux d’offre et de service ferroviaires restent conditionnés à une pierre angulaire : le bon maintien de l’infrastructure.

Dans le cadre de la conférence de financement Ambition France Transport, les propositions se sont multipliées :

  • supprimer les exonérations fiscales dont bénéficie le secteur du transport routier sur la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE)
  • Utiliser une partie des 5 milliards d’euros annuels que devrait rapporter à la France l’extension du système européen d’échange de quotas carbone, récemment étendu aux transports aériens et maritimes, pour les affecter à l’Agence nationale de financement des infrastructures de transports, l’Aftif
  • Utiliser les bénéfices des péages autoroutiers, qui n’ont cessé de progresser, lors de la renégociation des concessions historiques à partir de 2031
  • Utiliser le mécanisme des certificats d’économie d’énergie (CEE), qui génère de l’ordre de 4 milliards d’euros par an, marginalement fléchés vers le ferroviaire
  • Instaurer une contribution des transporteurs routiers, des compagnies aériennes, sur les colis et les séjours en croisière

Malgré l’intérêt de ces propositions, certaines idées fixes – comme l’instauration d’une taxe temporaire d’un euro sur chaque billet de train – continuent de monopoliser l’attention des médias… et de susciter de l’inquiétude. En effet, si elles étaient mises en application, de telles mesures seraient en contradiction avec une autre orientation politique : la volonté affichée de mobiliser les recettes apportées par les modes de transport carbonés pour les rediriger vers les modes décarbonés.

La réouverture de la ligne de Montréjeau – Luchon est un symbole fort mais aussi un signal faible par rapport aux menaces de nombreuses fermetures de lignes : elle redonne un peu d’espoir à un secteur ferroviaire en souffrance, mais elle ne saurait masquer les carences structurelles qui pèsent sur l’ensemble de l’infrastructure nationale. Sans un effort de financements massif, partagé entre l’État, les régions et les opérateurs, les ambitions de transition écologique, de droit à la mobilité et d’égalité territoriale risquent de rester lettre morte. Sauver les trains du quotidien, c’est sauver bien plus qu’un mode de transport : c’est préserver un lien historique et vital entre les citoyens, leurs territoires et leurs services publics, une condition indispensable de la cohésion nationale entre les différentes composantes du pays face au risque de fracture démocratique.

Pour découvrir l’étude réalisée par BL évolution pour le Forum Vie Mobile visant à imaginer un système alternatif à la voiture, combinant modes actifs, autopartage et transports en commun, rendez-vous le 16 septembre au Théâtre Traversière à Paris !