Alors que la France dispose d’un des réseaux routiers les plus denses d’Europe, une étude récente menée par BL évolution pour l’ADEME met en lumière un potentiel encore largement sous-exploité : la requalification des routes à faible trafic motorisé pour en faire des axes structurants des modes actifs et des véhicules légers.

Intitulée « Potentiel de changement de classification des routes pour développer les usages des modes actifs et/ou légers », cette étude s’inscrit dans le prolongement des programmes AVELO de l’ADEME, et propose de changer de regard sur la voirie existante, pour en réaffecter une partie aux modes actifs, notamment en zone rurale et peu dense.

La France, un trésor de petites routes locales

Avec près de 1,1 million de kilomètres de routes, la France possède un maillage viaire exceptionnellement dense. Pourtant, une large partie de ce réseau, en particulier les routes communales et départementales rurales, connaît :

  • un trafic motorisé très faible ;
  • des coûts d’entretien croissants ;
  • une dégradation accélérée liée au changement climatique et à l’augmentation du poids des véhicules.

En parallèle, les aménagements cyclables progressent lentement hors des grandes agglomérations, notamment à cause du manque de foncier disponible et des coûts élevés au regard du nombre d’usagers potentiels. Cette étude part donc d’une question simple : plutôt que de créer de nouvelles infrastructures, pourquoi ne pas transformer l’existant ?

Grâce à un travail de modélisation basé sur les flux de trafic et la structure du réseau, l’étude identifie un potentiel massif de requalification :

  • Sur 1,1 million de km de routes en France :
  • seuls 345 000 km seraient réellement indispensables au trafic motorisé,
  • 61 000 km pourraient être réservés aux modes actifs pour construire un maillage cohérent entre les communes,
  • 50 000 km supplémentaires pourraient être ouverts aux modes actifs et aux véhicules intermédiaires.

Une approche plus ambitieuse (« maximaliste ») révèle un potentiel additionnel de 323 000 km de voies pouvant être réaffectées au vélo et aux mobilités légères (soit un total de 434 000 km de voies cyclables potentielles). Derrière ces chiffres, se dessine la possibilité d’un maillage cyclable national continu, reliant toutes les communes par des itinéraires sécurisés et attractifs.

De la théorie à la pratique : une approche qui a déjà fait ses preuves

L’étude s’appuie également sur de nombreux retours d’expériences français et européens.

En France, dans certaines régions où le vélo est un mode de déplacement privilégié depuis le début des années 90, on trouve des tronçons d’itinéraires cyclables sur des routes peu circulées déjà fermés au transit motorisé grâce au panneau B7b (interdiction aux véhicules motorisés), tout en restant accessibles aux riverains, agriculteurs et aux services de secours.

Depuis le décret de 2022 modifiant la définition et la réglementation d’usage des voies vertes, des véhicules motorisés peuvent être autorisés à circuler sur celles-ci, notamment pour la desserte locale. C’est le cas des voies communales ou d’intérêt communautaire (situées entre deux communes), ainsi que de ce que l’on peut appeler les « voies vertes sur routes existantes » expérimentées dans le département de la Manche.

L’étude cite aussi les pratiques de plusieurs pays européens :

  • En Allemagne : expérimentations de chaussées à voie centrale banalisé (chaucidous) hors agglomération.
  • En Espagne : intégration progressive des routes à faible trafic dans les schémas cyclables régionaux.
  • En Irlande : abaissement de la vitesse par défaut à 60 km/h sur les routes rurales locales et investissements substantiels dans les aménagements cyclables.
  • Au Royaume-Uni : développement des Quiet Lanes depuis le début des années 2000, des routes rurales apaisées où la vitesse est réduite et la priorité est donnée aux piétons et cyclistes.

Ces exemples montrent que la requalification de routes existantes n’est pas une utopie, mais une tendance de fond en Europe.

Un mode d’emploi pour les collectivités

L’une des forces de cette étude est sa portée très opérationnelle : elle propose une méthode pour construire un réseau cyclable complet reliant toutes les communes de France, en s’appuyant sur un algorithme de détection des itinéraires potentiellement requalifiables, développé par BL évolution, couplé avec un travail de terrain et de concertation :

  1. Identification des itinéraires à requalifier,
  2. Diagnostic de la voie : trafic, usages, contraintes agricoles et riveraines,
  3. Choix du niveau d’intervention :
    • simple réduction de vitesse
    • jalonnement sans contrainte
    • signalisation réglementaire
    • dispositifs physiques (écluses, plots, chicanes),
  4. Concertation locale avec habitants et ayants droit,
  5. Phase d’expérimentation, suivie d’évaluation et d’ajustements.

Cette étude réalisée par BL évolution pour l’ADEME démontre que :

  • la France dispose déjà du support physique pour un réseau cyclable national d’ampleur,
  • la requalification des routes peu circulées constitue un levier efficace, pragmatique et économique pour décarboner les mobilités partout en France,
  • cette approche contribuerait notamment à la sécurité routière, à la réduction de la dépendance à la voiture et au désenclavement des territoires ruraux.

La requalification de voies à faible trafic n’est pas une solution « low cost » mais une véritable politique d’aménagement, qui doit respecter un cadre technique et réglementaire exigeant.

Alors que la transition des mobilités peine parfois à sortir des centres urbains, cette étude ouvre une nouvelle perspective : et si la route de demain n’était pas une infrastructure, mais une nouvelle façon de partager et d’utiliser l’existante ?

Vous souhaitez étudier le potentiel de réaffectation de la voirie dans votre territoire ? Contactez nos équipes expertes de la transition des mobilités à Paris, Lyon, Marseille, Grenoble ou Rennes : https://www.bl-evolution.com/contact/