Le Haut conseil pour le climat a publié ce 25 janvier son rapport intitulé : « Accélérer la transition climatique avec un système alimentaire bas-carbone, résilient et juste ». Celui-ci s’attache à analyser l’efficacité, la mise en œuvre et les impacts des politiques alimentaires et agricoles à l’aune des enjeux climatiques et des constats sur les émissions et l’empreinte alimentaire. 

Dans un contexte où les agriculteurs manifestent pour des rémunérations décentes, un soutien aux secteurs les plus en crise et des conditions concurrentielles plus justes, quels sont les leviers pour actionner une transition du système alimentaire vers plus de durabilité environnementale et sociale ? Ce rapport fournit de nombreux éléments et pistes de réflexion à explorer afin de répondre à cette question.

Une transition nécessaire pour un secteur en première ligne face aux enjeux climatiques :

Transition bas-carbone infographie composantes système alimentaire

Plusieurs constats sont mis en perspective par ce rapport. Tout d’abord, les émissions agricoles ont baissé de 13% entre 1990 et 2021, principalement en raison de la diminution de la taille du cheptel bovin liée aux difficultés économiques du secteur. Si les émissions sont bien en baisse et si les budgets carbones des périodes 2015-2018 et 2019-2023 fixés par la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) ont été respectés, ces résultats sont à nuancer, cette baisse des émissions résultant principalement de facteurs socio-économiques extérieurs à l’action publique. A cela s’ajoute le fait que la part des émissions importées dans l’empreinte alimentaire a augmenté entre 2010 et 2018, soulignant l’importance d’appréhender le système alimentaire dans son ensemble et non sous le seul angle du secteur agricole territorial. 

De plus, le réchauffement impacte sévèrement l’agriculture depuis des décennies et ce constat est amené à s’aggraver. Chaque fraction de degré supplémentaire de réchauffement planétaire se traduit en France par une intensification des phénomènes climatiques extrêmes et une plus grande variabilité des cycles de l’eau. Les effets sur les cultures et l’élevage sont déjà visibles, avec des pertes économiques importantes. Un réchauffement de +2°C d’ici 2050 sans nouvelles mesures d’adaptation entraînerait des pertes additionnelles significatives. Si l’adaptation actuelle est réactive, elle est jugée insuffisante pour assurer la résilience face aux multiples facteurs d’impact. Même si le changement climatique peut présenter des opportunités, des risques menaçant de se complexifier mettent en péril la stabilité de l’approvisionnement alimentaire mondial. Il est donc impératif de renforcer la résilience de la production agricole tout en limitant le plus possible les impacts environnementaux du secteur afin de contribuer à la stabilisation du système planétaire.

Des verrous à lever et des opportunités à saisir pour atténuer l’impact du système et préparer son adaptation 

Les mesures pour diminuer l’empreinte de notre alimentation sont connues. Au niveau de l’agriculture, on note l’importance de diminuer les émissions des élevages, mais aussi de réduire et optimiser l’utilisation d’engrais azotés et minéraux et de développer des pratiques stockantes de carbone dans les sols. En termes d’adaptation, les principales options consistent à développer des pratiques dites d’agriculture climato-intelligente comme la sélection d’espèces de plantes ou de races d’animaux plus tolérantes aux aléas climatiques, la diversification des cultures, l’irrigation de résilience… Il est également essentiel de favoriser des systèmes agroécologiques, dans une démarche d’adaptation transformationnelle. Si ceux-ci sont moins émetteurs de gaz à effet de serre à l’hectare que les systèmes conventionnels, ils ne le sont pas toujours au kilo d’aliment produit. Ils offrent cependant bien plus de services écosystémiques mais également moins de pressions sur la biodiversité ainsi que sur les ressources naturelles, les rendant globalement mieux adaptés aux changements à venir.

S’il est chimérique de considérer que la décarbonation de notre système alimentaire se fera sans changer de modèle agricole, envisager que cette transition repose sur les seules épaules des agriculteurs l’est tout autant. Des pratiques de transition parfois coûteuses, risquées et nécessitant certaines compétences spécifiques viennent alourdir un contexte socio-économique déjà complexe pour les agriculteurs du pays. Surtout, cela nécessiterait d’embarquer l’ensemble de la chaîne de valeur du système alimentaire. Le Haut conseil pour le climat insiste particulièrement sur ce dernier point, multipliant les exemples de nécessaires synergies de l’ensemble des acteurs pour assurer une transition vers un système alimentaire bas carbone, résilient et juste.

Décarbonation des autres maillons de la chaîne, mise en avant de produit bas-carbone par les industries agroalimentaires et les distributeurs, réduction des pertes et des gaspillages, diminution de la consommation de protéines animales sont autant d’enjeux stratégiques qui viennent illustrer l’importance d’une implication de l’ensemble des parties prenantes. A cette fin, une mise en cohérence des politiques agricoles, climatiques et alimentaires apparaît comme indispensable.

Quelle action publique pour un système alimentaire à la hauteur des enjeux ?

Dans ce cadre de réflexion, le Haut Conseil pour le Climat identifie trois politiques structurantes pour l’agriculture et l’alimentation : le Pacte et la Loi d’orientation pour le renouvellement des générations en agriculture (PLORGA), le Plan stratégique nationale (PSN) et la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (SNANC). En ce qui concerne les politiques directement dirigées vers la partie agricole du système alimentaire, la PLORGA, si elle intègre une vision claire d’une agriculture bas-carbone et adaptée au changement climatique, présente une opportunité de lever certains verrous propres au secteur agricole. 

Transition bas-carbone infographie système alimentaire

La Politique Agricole Commune (PAC) et le PSN ne sont en revanche pas conçus ou dimensionnés pour permettre une décarbonation et une adaptation du secteur agricole. Si on y retrouve de nombreuses dispositions mobilisables pour le climat (besoin en investissement, mise en avant de pratiques durables…), celles-ci restent lacunaires et sous-dimensionnées. Le PSN permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre hors combustion d’énergies fossiles de seulement 9 à 11% et ne rendrait donc pas possible l’atteinte des objectifs de la 2ème et 3ème Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). Par ailleurs, les mesures d’adaptation y sont peu abordées et font peser des risques de maladaptation dans leur déploiement, soulignant la nécessité d’une révision de ce plan.

Enfin, sur le plan de l’alimentaire, les politiques actuelles se concentrent principalement sur l’information aux consommateurs, ignorant en grande  partie les leviers actionnables en aval de la production agricole. Faiblement financées en comparaison des politiques agricoles, elles ne ciblent pas assez les industries agroalimentaires, les distributeurs, les restaurateurs, les producteurs d’intrants, les importateurs ou la finance. La SNANC présente une opportunité de transformer l’offre et l’environnement alimentaire pour encourager des pratiques conformes à la transition bas-carbone et à l’adaptation climatique. 

 

Enjeux économiques et sociaux de la transition vers un système alimentaire durable

Si ce rapport se concentre particulièrement sur le changement climatique, il est bon de rappeler que le système alimentaire, et particulièrement l’amont agricole, sont en première ligne des causes mais aussi des conséquences de nombreux autres enjeux environnementaux. Par exemple, les pratiques agricoles conventionnelles affectent directement la biodiversité dont l’effondrement impact à son tour l’agriculture. Une transition vers un système alimentaire plus durable écologiquement est nécessaire et dans l’intérêt de toutes et tous, mais elle ne pourra se faire sans la prise en compte des autres limites planétaires.

Si la mobilisation actuelle des agriculteurs porte en partie sur les difficultés à traiter ces enjeux environnementaux en parallèle d’autres, d’ordre économique ou social, ce rapport apporte des pistes de réflexion pertinentes sur la manière de les concilier. Le sujet est systémique et la transition passera nécessairement par une action publique forte et à la hauteur des enjeux et une sortie urgente des postures.