Face aux controverses éthiques suscitées par l’organisation de la Coupe du monde au Qatar dont le coup d’envoi est prévu le 20 novembre 2022, de nombreux acteurs ont réagi sur le sujet. Qu’en est-il des entreprises et de leur soutien face à cet évènement ? Comment peuvent-elles se positionner pour être alignées avec leurs valeurs ?

Les principales contestations autour de la Coupe du monde du Qatar

La Coupe du monde de football est l’évènement sportif qui attire le plus de (télé)spectateurs et spectatrices avec les Jeux Olympiques. Malgré une certification ISO 20121 obtenue en juin 2022 (développement durable et management responsable des évènements), l’édition prévue au Qatar fin 2022 est sujette à de nombreuses remises en question depuis son attribution, intensifiées au cours des derniers mois. Au niveau :

  • Environnemental : la FIFA a reçu cinq plaintes pour greenwashing face à ses revendications de neutralité carbone, et le Qatar est critiqué pour son  impact écologique conséquent (stades neufs et climatisés, allers-retours quotidiens en avion, etc.) ;
  • Éthique : la FIFA est soumise à plusieurs enquêtes pour corruption ;
  • Social : les ONG dénoncent le non-respect des droits humains dans le pays hôte (discriminations subies par les femmes, non-respect des droits et de la dignité des ouvriers, répression des droits des personnes LGBTQIA+, etc.).

Ces dénonciations ont mené vers des appels au boycott de la part :

  • De la société civile (pétition lancée par Amnesty International et signée par plus de 80 000 personnes),
  • Des personnalités publiques (Vincent Lindon, Eric Cantona, Virginie Despentes, etc.),
  • Des médias (Le Quotidien de La Réunion),
  • Des collectivités qui font le choix de ne pas diffuser la Coupe du monde (Paris, Marseille, Nancy, Reims, Strasbourg, etc.).

Certaines équipes sportives et fédérations nationales de football ont exprimé publiquement leur positionnement. C’est le cas de l’équipe nationale danoise, soutenue par la Fédération danoise de football, sensibles à la protection des droits humains. Suite aux interpellations répétées de la société civile, l’Équipe de France a annoncé ce mardi “soutenir les ONG qui œuvrent pour la protection des droits humains”. Début octobre, la FFF avait déclaré soutenir l’idée d’un fonds d’indemnisation, malgré un positionnement réservé sur le sujet.

De nombreuses parties prenantes se sont positionnées sur le manque d’éthique de la Coupe du monde, mais les entreprises ont peu réagi. La demande de leurs parties prenantes, en particulier celle de la société civile et des institutions, est croissante en faveur de comportements éthiques, de prises de position et d’une contribution plus active à la transition écologique et sociale.

Face à un évènement qui divise les débats, comment peuvent-elles se positionner ?

Sponsoriser la Coupe du monde : quel intérêt pour les entreprises ? 

Les sponsors et leurs motivations principales

Chaque grand évènement sportif professionnel a ses sponsors. La motivation première d’une entreprise à parrainer une action ou un évènement est la visibilité et la notoriété induites par l’association de leur logo ou leur produit à un évènement regardé par des potentiels clients. Pour une Coupe du monde de football masculin, avec une audience multi-cibles à plusieurs centaines de millions de personnes, les entreprises sponsors bénéficient d’une large visibilité.

La Coupe du monde 2022 compte officiellement 14 sponsors : AB InBevquatre, Adidas, Byju’s, Coca-Cola, Crypto, Hisense, Hyundai-Kia, McDonald’s, Mengniu, Qatar Airways, Qatar Energy, Visa, Vivo, Wanda Group. La plupart sont chinois et qatari, aucun n’est français et seulement deux sont européens (AB InBevquatre, Adidas). Lors des Jeux asiatiques d’hiver en 2022 à Pékin, seule une entreprise européenne (Atos) était partenaire de l’évènement, sur 14 sponsors.

Les entreprises qui parrainent la Coupe du monde au Qatar sont pour certaines installées dans des pays dans lesquels les réglementations relatives au respect de l’environnement et des droits humains peinent encore à voir le jour. A contrario, les entreprises européennes et françaises semblent être plus frileuses des partenariats avec des évènements contestés. Avec le renforcement des réglementations européennes sur la RSE (la CSRD adoptée par le Parlement européen le 10/11/22, devoir de vigilance en construction…) et la montée du militantisme, le public est de plus en plus exigeant face à l’alignement nécessaire des entreprises avec les engagements RSE à définir et à mettre en place.  

Que risquent les entreprises associées à un évènement polémique ? 

Les motivations principales des entreprises à parrainer des évènements sont d’associer leur marque à un état d’esprit, gagner en notoriété et augmenter leurs ventes. Dès lors, les entreprises sont aujourd’hui confrontées au dilemme des évènements polémiques. Elles peuvent s’exposer à un risque réputationnel.

Les grands sponsors sont également sous l’effet de contradictions. Par exemple, Coca-Cola sponsorise la Coupe du monde au Qatar et parraine en parallèle la COP27. La société civile attend des positions cohérentes de la part des entreprises.

Le second risque est que les collaborateurs et collaboratrices ne se retrouvent plus en adéquation avec les valeurs de leur employeur.

Les risques sont-ils les mêmes pour l’ensemble de ces entreprises ? 

Toutes les entreprises au niveau international ne sont pas confrontées aux mêmes réglementations et aux mêmes attentes de la part de leurs clients. Cela varie selon le niveau de conscience des populations sur les enjeux environnementaux et sociaux. L’éthique est de plus en plus attendue au niveau européen. En effet, les réglementations RSE se renforcent. Par exemple, dès 2024, la nouvelle directive européenne CSRD concernera 50 000 entreprises dans l’UE, contre 11 700 entreprises actuellement.

Début novembre, une filiale de Vinci (groupe français) a été mise en examen par le Tribunal de Nanterre. De mauvaises conditions de travail sur ses chantiers au Qatar sont pointées du doigt.

Il est donc essentiel pour une entreprise d’être cohérente et de maîtriser ses impacts négatifs sur l’environnement et la société, avant même de considérer des partenariats en externe.

Les réactions des entreprises aux polémiques

Les réactions face à la Coupe du monde au Qatar

En septembre dernier, plusieurs organisations de défense des droits humains ont appelé les sponsors à indemniser des ouvriers ayant travaillé sur les chantiers de la Coupe du monde (Human Rights Watch, Amnesty International, FairSquare).

Parmi les 14 sponsors, Adidas, Coca-Cola, McDonald’s et AB InBevquatre se sont engagés à une compensation financière. Même si cela ne représente qu’un tiers des sponsors et que le niveau d’engagement peut être critiqué, leur réaction démontre la capacité de pression de la société civile sur les entreprises.

Ces mêmes entreprises avaient exprimé en 2015 des réticences face aux scandales de la FIFA :

  • AB InBevquatre, acteur belgo-brésilien, souhaitait que ses partenaires maintiennent des exigences en matière d’éthique,
  • Coca-Cola a demandé à la FIFA de se saisir des questions de corruption,
  • McDonald’s a affirmé prendre au sérieux les problématiques liées à l’éthique et à la corruption.

Les récentes controverses au sujet de la Coupe du monde 2022 ne les ont cependant pas incitées à rompre leur sponsoring.

En réaction aux critiques, la FIFA a annoncé un renforcement des critères environnementaux dans les appels d’offres visant à choisir les pays organisateurs des prochains mondiaux de football.

D’autres prises de position plus engagées peuvent être soulignées : 

  • Le Crédit Suisse (principal sponsor de l’équipe suisse de football et sponsor de la Zurich Pride) ne prévoit pas de campagne de publicité, pour rester cohérent avec son positionnement sur la cause LGBTQIA+,
  • Des sponsors de l’équipe danoise de football « ont décidé de supprimer leurs logos des maillots d’entraînement des joueurs pour les remplacer par un message favorable au respect des droits humains au Qatar » (Amnesty International). 

Hormis ces quelques exemples, très peu d’entreprises ont réagi publiquement.

A leur échelle, les entreprises devraient-elles appeler au boycott ?

En 2018, 36% des entreprises ont diffusé les matchs de la Coupe du monde sur leur lieu de travail, selon une étude menée par BureauxLocaux (sur un panel de 508 entreprises françaises). Les entreprises ont profité de la Coupe du monde 2018 pour renforcer la cohésion de leurs équipes. En sera-t-il de même pour celle de 2022 ? Lorsque la question éthique se pose, le rôle des entreprises est-il d’encourager à éviter certains modes de consommation ?

La direction a un rôle à jouer auprès de ses salarié.es, pour les sensibiliser à adopter des comportements vertueux dans leur quotidien professionnel. Concernant les comportements personnels, il peut être délicat pour une direction d’avoir un impact direct sur les choix de vie des collaborateurs et collaboratrices. 

Le visionnage collectif au sein d’une entreprise est fédérateur. Cependant, une entreprise qui souhaite se positionner peut sensibiliser ses collaborateurs et collaboratrices en ne diffusant pas les matchs en interne. Les salariés ont aussi un rôle à jouer au sein de leur entreprise. Ils peuvent sensibiliser leur direction ou leurs pairs sur le manque d’éthique de cette Coupe du monde. 

En effet, même si les entreprises n’ont pas un impact direct sur l’organisation de la Coupe du monde, elles peuvent choisir de ne pas cautionner l’évènement. Les citoyens, tout comme les entreprises, peuvent exprimer leurs opinions à travers leurs actions. Refuser de regarder les matchs est un parti pris au même titre que limiter son usage de transports polluants ou son alimentation. La responsabilité de la production et de l’organisation n’est certes pas le fait du consommateur, néanmoins ce dernier joue un rôle clé au sein de la société, en ayant le pouvoir de devenir un consommact’eur ou une consommac’trice.

Ainsi, afin de garder un esprit fédérateur, les entreprises peuvent organiser des moments de loisirs en interne et inviter les collaborateurs et collaboratrices à s’investir collectivement dans des activités à impacts positifs, pour garder le rôle fédérateur et nécessaire au bien-être des salarié.es.

Comment les entreprises peuvent-elles s’engager concrètement ? 

En conclusion, face aux évènements controversés, les entreprises peuvent :

  • Éviter de sponsoriser des évènements à impacts environnementaux et sociétaux négatifs, qui contredisent le sens dans lequel la société doit évoluer pour plus de justice sociale et environnementale ;
  • Considérer une stratégie RSE et des engagements concrets et ambitieux, pour diminuer les impacts négatifs de leurs activités et augmenter leurs impacts positifs, avant de considérer une action de parrainage ;
  • Une fois une ligne éthique définie, prendre des mesures permettant de rester alignées sur leurs engagements, retranscrits en actions au quotidien.

Au vu de la mobilisation générale autour de la Coupe du monde au Qatar, peut-on espérer qu’une situation semblable ne se reproduise plus ? Qu’en sera-t-il de l’organisation des prochains Jeux asiatiques d’hiver en Arabie-Saoudite en 2029 ? Peut-on attendre une réelle prise de position des entreprises, en Europe et à l’international, en considérant que la pression de la société civile pourrait monter dans les autres pays ? Ces questions suscitent de vives réactions de la part des personnalités publiques et dirigeants d’entreprises sur les réseaux sociaux. La société civile se met en ordre de bataille pour continuer son combat pour plus de justice sociale et environnementale. Le monde du sport présente de forts enjeux géopolitiques et d’éducation. Il doit se montrer exemplaire.

 

 

Photo : Philip Kofler, Pixabay