Une réindustrialisation hétérogène selon les territoires, avec l’adaptation des sites industriels comme nouvel enjeu

Pour faire face à la chute des activités industrielles en France depuis les années 1970, les gouvernements français tentent de mettre en place des moyens afin d’inverser la tendance, récemment avec le programme France 2030. Le bilan des ouvertures et fermetures d’usines en 2024 montrent une légère progression du nombre d’ouvertures, notamment dans les secteurs de l’industrie verte (énergies renouvelables et solutions décarbonées), de l’agro-alimentaire et des biens de consommation. Certaines régions montrent une dynamique d’ouverture de sites plus importante que d’autres, c’est le cas des régions Auvergne Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie. À l’inverse, certaines régions subissent davantage les fermetures de sites, comme les Hauts-de-France ou le Grand Est.

Adaptation des sites industriels : quel lien avec le changement climatique ?

La question d’exposition et de résilience aux aléas climatique doit désormais se poser de manière sérieuse.

Les aléas climatiques impactent déjà aujourd’hui l’activité de nombreuses entreprises, notamment dans l’industrie. Cela peut se traduire par des impacts directs sur les sites : fermeture ou réorganisation des journées de travail lors des vagues de chaleur, surchauffe d’équipements électriques lors des épisodes de températures élevées, inondations des sites lors des crues ou des précipitations intenses … ou indirectes : impacts chez les fournisseurs ou sur la logistique d’approvisionnement par exemple. Tous ont un impact direct ou indirect plus ou moins élevé sur l’activité et donc sur l’équilibre financier de l’entreprise. C’est d’ailleurs ce que met en avant la TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures), un groupe de travail qui a cadré la manière dont les risques liés au climat doivent être traités.

L’ampleur et la fréquence de ces impacts vont augmenter avec le temps, quel que soit le niveau d’émissions futures de gaz à effet de serre dans le monde. Compte tenu des investissements conséquents et de la projection sur le long terme dans la création d’un site industriel, il est donc indispensable de prendre en compte dans l’équation l’évolution du climat et des aléas climatiques qui en résultent. L’enjeu de la réindustrialisation est d’assurer la souveraineté et la résilience nationale en approvisionnement de biens. Afin de remplir cette mission, une résilience aux futurs aléas climatiques doit être assurée.

Et les pouvoirs publics dans tout ça ?

En France, la troisième version du Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC) a été publiée cette année, proposant de nombreuses mesures pour justement anticiper les aléas climatiques et s’y préparer. De nouvelles obligations légales concernant la prise en compte de l’adaptation dans les stratégies d’entreprises pourraient en découler, sachant qu’à l’échelle européenne, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) exige une transparence sur cette thématique pour les entreprises qui y sont soumises. Les aides publiques aux entreprises pourront bientôt être conditionnées à l’élaboration d’un plan d’adaptation au changement climatique.

Notons par ailleurs que la loi ZAN contribue à renforcer la résilience des territoires face aux aléas climatiques. En effet, les friches industrielles présentent un potentiel de développement urbain et industriel qui permet de préserver les espaces naturels et agricoles, essentiels à l’adaptation.

Heureusement, la résilience au changement climatique commence déjà à être intégrée dans les marchés concernant certaines installations industrielles, et cela devrait se renforcer dans le temps (notamment grâce aux mesures du PNACC). Les assureurs (qui sont aussi en première ligne financièrement face aux aléas climatiques) et d’autres acteurs financiers commencent également à intégrer certaines exigences sur le sujet. Les CCI (Chambres de commerce et d’industrie) et CMA (Chambres des métiers et de l’artisanat) investissent pour sensibiliser les entreprises, notamment les PME, aux risques climatiques et à leurs impacts.

Quels critères regarder pour l’adaptation des sites industriels lors du choix d’une implantation ?

Le bon fonctionnement d’un site industriel repose sur de nombreux éléments. Cela va de l’alimentation en énergie et en eau, à la logistique entrante et sortante en passant par l’ensemble des processus de production et des conditions de travail pour les employés. L’ensemble de ces éléments peut être plus ou moins sensible à certains aléas climatiques. La première étape pour assurer une résilience climatique est donc d’identifier les éléments les plus critiques de l’activité industrielle, et d’évaluer leur sensibilité aux différents aléas climatiques. Par exemple, si une partie de la ligne de production nécessite des conditions de température et d’hygrométrie particulières pour garantir la qualité des produits, alors il est possible que des épisodes de fortes chaleurs ou des périodes de précipitations intenses viennent perturber les conditions de production, ou augmenter les coûts de fonctionnement pour y faire face (ex : climatisation ou aération).

Ensuite, c’est la géographie du futur site qu’il faut analyser pour déterminer son exposition aux risques climatiques. Par exemple, si le site est localisé dans le sud de la France, il est certain qu’il sera de plus en plus exposé à de fortes chaleurs ou canicules. S’il est localisé dans une zone susceptible d’être inondée dans les vingt prochaines années, alors ce risque est à prendre en considération (même si le site n’est pas en zone inondable aujourd’hui). Si l’utilisation d’un fleuve est envisagée pour la logistique, il est possible que des périodes de fortes crues ou d’assèchement surviennent de plus en plus dans les années à venir (et par ailleurs les fortes crues peuvent être une menace d’inondation pour le site !). Si le site a besoin de grandes quantités d’eau ou de ressources naturelles comme le bois pour fonctionner, certaines zones seront de plus en plus assujetties au stress hydrique et au déboisement.

Les entreprises d’aujourd’hui héritent d’un mode de développement qui s’est construit dans des conditions climatiques différentes de celles que nous connaissons actuellement, qui elles-mêmes seront différentes des conditions climatiques que nous observerons dans 5, 10 ou 15 ans. Par ailleurs, le changement climatique s’accélère, et donc les changements dans les 25 prochaines années seront plus conséquents que ceux vécus sur les 25 dernières années. Il faut donc arriver à projeter l’activité du site dans un climat futur. Pour cela, plusieurs outils existent.

Les outils (gratuits) d’analyse

Les différents outils et bases de données ont fortement progressé ces derniers temps.  En France, la plateforme R4RE (Resilience for Real Estate) de l’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID) et l’outil Géorisques permettent de visualiser les différents aléas climatiques actuels et futurs à l’échelle d’une adresse précise et selon différents scénarii de réchauffement. Cela permet un diagnostic facile et rapide des risques climat. Par ailleurs, MétéoFrance a développé l’outil ClimaDiag, qui donne une vision simple et pédagogique de l’évolution des indicateurs climatiques (ex : nombre de jours de fortes chaleurs, nombre de jours de fortes précipitation …) au sein des communes selon les scénarii de réchauffement. Tous se basent sur la base de données française DRIAS, et continuent à évoluer pour rendre le sujet accessible à tous.

Des outils spécifiques à la reconversion de friches existent également : Cartofriche pour réaliser l’inventaire des sites en friche et identifier des possibilités de requalifications, ou Bénéfriches pour quantifier et monétariser les impacts socio-économiques de la reconversion des friches.

Les démarches d’analyses des risques climat

Au-delà des outils, des méthodes d’analyse existent, comme la méthode OCARA, et des dispositifs de financement pour ce type d’étude comme le Diag Adaptation, cofinancé par BPI France et l’ADEME avec lesquels les expertes et experts de BL évolution interviennent chez nos clients.

Le sujet de la résilience aux risques climat est un sujet émergent qui doit être pris en compte dans l’implantation de nouveaux sites industriels afin d’assurer la pérennité des investissements réalisés et la résilience de l’entreprise. Il est utile de rappeler que de manière générale, le coût de l’inaction est nettement supérieur à celui des actions d’adaptation. Cela est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de nouvelles installations qui n’ont pas encore été rentabilisées. Par ailleurs, l’intégration de l’adaptation au changement climatique dès la conception des installations industrielles est une opportunité pour réduire les coûts liés aux actions d’adaptation. En effet, les investissements dans de nouveaux aménagements sur des installations existantes pour faire face aux aléas climatiques est souvent plus coûteux, et la question de la localisation du site se pose plus facilement lorsque celui-ci n’existe pas encore !