Les 7 et 8 mars avait lieu à Paris le premier Forum Mondial Bâtiment et Climat, co-organisé par la France et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), avec le soutien de l’Alliance mondiale pour les bâtiments et la construction (GlobalABC). Cet événement, qui réunissait Ministres et représentants d’organisations-clés dans le but de faire avancer la décarbonation et la résilience du secteur du bâtiment, a débouché sur la signature de la Déclaration de Chaillot par les représentants de 70 pays (dont la France, les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes Unis, mais pas la Chine).

C’était l’occasion de revenir sur un sujet qui a récemment fait l’objet d’un webinaire organisé par l’Ademe et le groupe Urbanisme et Immobilier des Shifters, autour des Scénarios Transition 2050 et de leurs conséquences pour le secteur du bâtiment. Celui-ci représente 43 % des consommations énergétiques annuelles, génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) français (source : Ministère de la transition écologique), et constitue un levier majeur et incontournable pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Les scénarios de l’Ademe, outils de prospective au service d’un futur souhaitable

Élaborés en tenant compte des défis environnementaux et sociétaux majeurs, les scénarios “Transition 2050” de l’Ademe “présentent de manière volontairement contrastée des options économiques, techniques et de société permettant d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050”. Chacun présente un projet de société différent, avec une logique et une cohérence propres, en s’appuyant sur une analyse des tendances actuelles et des potentiels changements à venir, et dessine ainsi une perspective éclairante pour le public, les décideurs politiques et les acteurs principaux des secteurs économiques concernés.

 

Un seul point commun entre ces scénarios : ils permettent théoriquement d’arriver à la neutralité carbone à l’horizon 2050, et diffèrent sur tous les autres aspects (économique, technologique, politique, écologique, sociétal). Or, loin d’être indépendants les uns des autres, ces sujets sont étroitement liés : en se focalisant sur l’objectif de neutralité carbone, l’Ademe ne propose pas quatre trajectoires équivalentes, bien au contraire ! Pour bien comprendre et se saisir de cet outil, il est donc impératif de tenir compte des problématiques socio-écologiques environnantes, en adoptant une approche systémique.

Quelles sociétés sont dessinées dans les scénarios ?

Les défis posés et les enjeux de transition sont considérables quel que soit le scénario envisagé, non seulement pour le secteur du bâtiment mais pour la société toute entière. Là où les scénarios 1 et 2 s’articulent autour du besoin de limiter les émissions de GES, les scénarios 3 et 4 parient sur le fait que la société sera capable de compenser les émissions, notamment en misant sur le développement de puits artificiels de stockage de carbone. Se dessinent des chemins divergents, conséquences de choix fondamentaux, comme celui de la poursuite de la métropolisation ou d’un rééquilibrage territorial et démographique entre urbain et rural. Le besoin d’adaptation et d’innovation, le risque de ne pas aller assez loin ou assez vite dans la transition, et l’impact sur notre société, varient donc du tout au tout. 

Si le scénario 1 “Génération Frugale” n’implique pas de bond technologique majeur, il dépend du rééquilibrage territorial, qui entraîne de profondes transformations sociétales et culturelles : réduction drastique du nombre de constructions neuves, de la consommation de viande, du trafic automobile ou aérien. Le scénario 2 (“Coopérations territoriales”) repose aussi sur une réorganisation politique et sociale au niveau régional. La planification publique accompagne le développement d’une industrie bas carbone, le recyclage et la valorisation se développent et la consommation de biens devient mesurée et responsable. Ces scénarios dépendent d’une prise de conscience collective de l’importance de changer nos modes de vie.

À l’inverse, le scénario 4 (“Pari réparateur”) postule que nous serons en capacité de compenser totalement les émissions de GES, sans transformation sociétale majeure. Le scénario 3, “Technologies vertes”, repose sur la démolition – reconstruction de logements, avec une consommation massive de ressources naturelles et la production de grandes quantités de déchets. Dans ces scénarios, l’artificialisation des sols se poursuit (respectivement + 465 et + 415 milliers d’hectares), ce qui risque d’entraîner une perte drastique de services écosystémique : îlots de chaleur, moins de protection contre les évènements extrêmes, moins de régulation des inondations. La société garde le même cap économique et politique et atteint l’objectif de neutralité carbone en s’appuyant sur des technologies aujourd’hui loin d’être matures pour certaines, plutôt que sur la réduction des émissions de GES et la préservation des puits naturels. Ce sont les options “techno solutionnistes”, les plus risquées techniquement.

Opportunités, défis et enjeux de transition pour les secteurs du bâtiment et de l’immobilier

Comment se traduisent ces scénarios pour les industries du bâtiment et de l’immobilier ?

 

Si nous choisissons collectivement d’emprunter la voie associée aux scénarios 1 et 2, les entreprises du secteur devront se renouveler si elles ne veulent pas disparaître, mais cette transition pourrait aussi présenter des opportunités pour celles qui sauront s’adapter rapidement.

Les opportunités d’une transition bien maîtrisée

Concrètement, ces trajectoires suivent la philosophie “rénover plutôt que construire”. L’accent est mis sur des rénovations ambitieuses de l’existant : 80% du parc immobilier atteint un niveau BBC (bâtiment basse consommation) à l’horizon 2050, contre actuellement moins de 1%. Les acteurs qui arriveront à mobiliser les compétences pour passer de la construction à la rénovation auront donc un avantage concurrentiel, de même que les fabricants de matériaux de construction qui sauront adopter et valoriser l’emploi de matériaux géo-sourcés (terre crue, plâtre, chaux, …) et bio-sourcés (bois, paille, fibres de chanvre ou de lin, roseau, …) pour diminuer l’impact environnemental des chantiers. 

Le marché du matériau recyclé suit la même tendance, et les choix collectifs conduisant à ces options pourraient avoir un véritable effet d’aubaine (dans ce monde, 70% de l’acier, de l’aluminium, du verre, du papier-carton et des plastiques sont issus du recyclage). Au-delà de ces débouchées commerciales, le marché est aussi porté par une revalorisation globale des métiers du bâtiment. Pour mettre en œuvre le chantier de rénovation à grande échelle de l’existant, les entreprises seront amenées à proposer des conditions d’embauche de plus en plus intéressantes, et bénéficieront directement de la montée en compétences de leurs employés.

Les enjeux et défis propre au secteur

Dans le monde décrit par les scénarios 3 et 4, les enjeux de transition sont différents. Les promoteurs immobiliers et les grandes entreprises de construction n’ont pas ou peu besoin d’évoluer pour survivre, et continuent de bénéficier d’une conjoncture économique très favorable, au moins à court et moyen terme. Mais ce monde n’est pas viable à long terme : la multiplication des événements météorologiques extrêmes rend les conditions de vie dans le bâti existant insupportables, et seuls les ménages les plus riches peuvent se permettre des rénovations de plus en plus coûteuses. Cette trajectoire fait aussi peser une pression croissante sur les ressources, aussi bien en granulats qu’en matériaux biosourcés. Les forêts françaises sont reconfigurées pour y exploiter des résineux à croissance rapide, entraînant une augmentation de la perte du vivant dans les forêts

Les scénarios “Transition 2050” offrent une feuille de route essentielle pour orienter le secteur du bâtiment vers une transition durable. Ces outils doivent servir à éclairer les choix qui sont fait aujourd’hui pour préparer demain, et ces choix n’auront d’impact que s’ils s’imposent de manière contraignante à tous les acteurs concernés. Les entreprises du secteur (BTP, promotion immobilière et matériaux de construction), ont une responsabilité historique de ne pas bloquer mais d’accompagner les évolutions qui seront choisies collectivement. Ce travail a aussi le mérite de remettre la question de la technique à sa juste place : comme outil au service d’une vision politique, et non comme une donnée faussement neutre qui s’impose à la société. Le rôle des cabinets de conseil sera d’ailleurs d’accompagner ces entreprises en les aidant à comprendre les impacts environnementaux et sociaux des plans de transition alignés avec ces scénarios, à construire ces plans de transition et à les mettre en pratique.

Pour aller plus loin, (re)découvrez nos publications : [Etude] Projet local, impact global : (in)compatibilité entre les objectifs de transition écologique et la réalité de terrain ? – BL évolution (bl-evolution.com) et Entreprises, comment construire une stratégie bas-carbone crédible ? – La démarche ACT Pas-à-Pas : un exemple d’approche méthodologique complète – BL évolution (bl-evolution.com)