Le précédent plan vélo et mobilités actives, lancé en 2018, a été un marqueur de la politique de mobilité du précédent quinquennat d’Emmanuel Macron, un des symboles de la priorité donnée aux “transports du quotidien”. Fin 2017, Elisabeth Borne, alors ministre des transports, avait marqué les esprits et un tournant dans la prise en considération du vélo par une formule : Il faut arrêter de regarder le vélo avec condescendance en considérant que c’est un sujet mineur. Devenue première ministre, elle a rappelé que 40 % des déplacements effectués en voiture font moins de 5 kilomètres  [1], et que “le vélo doit donc jouer un rôle essentiel”. Le nouveau plan vélo et marche affiche sans conteste un engagement renouvelé et renforcé au sommet de l’État !

Depuis 2018, l’État annonce avoir dépensé 410 millions pour le vélo via le fonds mobilités actives (contre 350 initialement prévus). Au total, 933 projets sur 599 territoires ont été lauréats et co-financés. D’autres mesures importantes comme le coup de pouce vélo (82 millions d’euros) et les aides à l’achat (65 millions) ont permis d’appuyer cette dynamique d’investissement. La progression du réseau cyclable est indubitable : environ 16 000 km de pistes cyclables et voies vertes sont apparues depuis début 2018, soit +39 % (graphique 1). Jamais autant d’aménagements cyclables n’avaient été créés en si peu d’années. La fréquentation de l’infrastructure, fortement stimulée par les conséquences des grèves des transports publics et de la pandémie, suit cette progression : +31 % depuis 2019 ! Mais même si des projets emblématiques et des innovations réussies sont largement mis en valeur, ces données ne disent rien de la qualité des aménagements cyclables créés, y compris celle des pistes et des voies vertes.

Le premier plan vélo et les conséquences des crises qui se sont superposées depuis 2018 ont renforcé la prise de conscience des enjeux sociaux et environnementaux des mobilités. Le volontarisme de l’État a encouragé élus, techniciens, militants pro-vélo à s’appuyer sur des arguments de plus en plus solides et sur des exemples réussis de mesures en faveur du vélo, à Paris, dans d’autres métropoles (Lyon, Rennes, Montpellier) et dans des territoires moins denses. Beaucoup de journalistes sont également beaucoup mieux familiarisés avec les politiques pro-vélo, les aménagements, la réglementation et la diversification des usages et du matériel. Des reportages entiers, voire des rubriques, sont désormais consacrés au sujet dans certains médias généralistes, comme la série de vidéos Biclou du Parisien ou les bulletins vélo de BFM Paris Île-de-France – sans compter les newsletters et les podcasts spécialisés. Le plan de 2018 a contribué à faire évoluer les mentalités, à révéler les bénéfices du vélo et son potentiel comme mode résilient, à préparer les esprits à un urbanisme plus durable mais aussi à animer les controverses – par exemple autour des conflits d’usage et de l’accidentologie.

 

Graphique 1. Le développement de l’infrastructure cyclable en France (source : amenagements-cyclables.fr)


Agenda européen

Ce plan vélo et marche 2.0 s’inscrit dans un cadre européen qui a beaucoup évolué ces derniers mois. En octobre dernier, la France a signé (sans l’avoir initiée) la Déclaration sur le vélo avec quatorze autres pays européens, certains déjà très ou assez cyclables (Pays-Bas, Danemark, Hongrie…) et d’autres beaucoup moins (Grèce, Irlande, Espagne, Luxembourg…). En février, le Parlement européen a adopté une résolution inédite visant à élaborer une stratégie européenne du vélo pour en faire un mode de déplacement à part entière, et doubler les distances parcourues [2]. Une déclaration interinstitutionnelle (conjointe entre le Parlement, la Commission et le Conseil) est attendue prochainement. 2024 est déjà annoncée comme l’année européenne du vélo.

Milliard en plus, parts modales en moins

Il a été beaucoup souligné le montant record de l’investissement prévu par le plan vélo et marche : 2 milliards d’euros. Les médias nationaux, locaux et spécialisés ont parlé de “coup de pédale historique”, de “changement de braquet” (selon France Inter, La Tribune). Le gouvernement souhaite parvenir à 6 milliards d’euros sur la période en comptant sur l’effet levier de la participation des collectivités locales. L’objectif de 100 000 km de pistes cyclables du plan de 2018 est repris, avec pour horizon non pas 2027 (fin des mandatures présidentielle et législative) mais 2030. Atteindre cet objectif n’est donc plus seulement de la responsabilité des gouvernements de la mandature actuelle, mais de ceux qui suivront – un objectif par procuration, en somme. Il est à noter qu’en 2022, les collectivités sondées par le Club des villes et territoires cyclables et marchables et Vélo & Territoires prévoyaient de créer 28 000 km d’aménagements d’ici 2027. Un rythme conforme à l’objectif du plan, à condition – et elle n’est pas maigre – que les aménagements en question soient très majoritairement des pistes et des voies vertes. Christophe Béchu a précisé que dès lors qu’une voie resterait inférieure à 5 mètres de large, elle ne serait pas considérée comme une forme d’artificialisation. Retrouvez les sept clés de BL évolution pour concilier l’objectif de Zéro Artificialisation Nette et une politique cyclable ambitieuse ici.

En revanche, il a été peu souligné qu’avait disparu l’objectif d’atteindre 9 % de part modale en 2024 (désormais inatteignable, il est vrai) et 12 % en 2030 [3], comme si ces niveaux étaient jugés hors de portée [4]. Aveu d’échec ou réalisme face aux obstacles pour y parvenir ? C’était pourtant l’une des principales ambitions du plan de 2018. Nul doute que les acteurs pro-vélo tenteront d’avancer à nouveau des propositions écartées, notamment en matière de budget, de réglementation et de services… et de report modal, dont le potentiel est immense (graphique 2). En effet, la démarche de l’État est partenariale : le plan devrait être amendé et enrichi à l’occasion des comités de suivi du plan, qui se tiendront avant chaque comité interministériel, afin d’établir un bilan de l’avancement des mesures et de faire de nouvelles propositions. Les comités interministériels préciseront quant à eux le calendrier et le contenu du plan.

 

Graphique 2. Potentiel de report modal vers les modes actifs
source : extrait de la fiche d’analyse de l’Observatoire des territoires sur « Se déplacer au quotidien : enjeux spatiaux, enjeux sociaux », Cerema

 

Les premiers territoires cyclables pilotes

Un « appel à territoires cyclables » doté d’une enveloppe de 100 millions d’euros a été lancé fin mai pour accélérer la politique vélo des territoires peu ou moyennement denses – là où la pratique a plus faiblement augmenté qu’en milieu urbain depuis 2019 – et les accompagner dans la durée. Ces territoires – au moins un par région – deviendraient ainsi des démonstrateurs de la possibilité de réaliser une politique cyclable complète et transversale, partout en France. Le dispositif, qui donne de la visibilité budgétaire aux heureux élus et devrait permettre de réduire les disparités de pratique entre territoires, a été salué par l’Alliance pour le vélo. 

En imaginant qu’il soit renouvelé chaque année, le montant à disposition apparaît cependant encore modeste pour répondre aux besoins des centaines d’EPCI qui n’ont pas encore entamé de politique vélo, ou en sont aux balbutiements. Il devra surtout éviter le saupoudrage, contrairement au dernier appel du fonds mobilités actives : pas moins de 610 candidatures de projets ont été reçues, avec au final de faibles sommes pour les lauréats. C’est à cette condition que la dynamique peut perdurer et des postes dédiés être pérennisés. Pour accompagner les collectivités, BL évolution dispose d’une longue expertise stratégique, participative et technique, notamment dans l’élaboration de Schémas Directeurs Modes Actifs, première brique d’une politique en faveur des piétons et des cyclistes (en savoir plus ici).

La marche surgit… à tout petit pas

Un mode est bien présent dans le titre mais presque absent dans le contenu. Comme son prédécesseur, le plan vélo et marche de 2023 porte mal son nom : c’est en réalité un plan vélo, où la marche, mode le plus universel qui soit, n’occupe qu’une place résiduelle [5]. Il était d’ailleurs initialement prévu que le comité interministériel soit uniquement dédié au vélo. Les piétons souffrent toujours d’être les grands oubliés, les parents (très) pauvres des mobilités, y compris pour l’intermodalité et malgré la progression de la marche aussi bien à l’échelle locale que nationale. Pourtant, en 2022, 18 % des collectivités territoriales disposaient d’une stratégie marche et 17 % l’élaboraient, soit 35 % au total. Même si c’est moins que pour le vélo (62 et 15 % respectivement), cette donnée témoigne d’une accélération de la prise en compte de la marche, particulièrement depuis la crise sanitaire.

Cette dynamique finira-t-elle par remonter à l’État ? Une nouveauté réside dans le lancement du premier programme national de soutien à la marche, piloté par le ministère des Transports, le Cerema et l’Ademe et baptisé “ID-marche” (“initiative pour le développement de la marche”). L’Ademe a déjà publié le premier AAP « Marche du Quotidien ». Une initiative louable, dotée d’un budget malheureusement dérisoire : 4 millions d’euros sur quatre ans. Sur une enveloppe globale de 2 milliards, l’effort s’apparente à des miettes. D’après Christian Machu de l’association 60 millions de piétons, un conseiller du Ministère des transports a confié qu’aux yeux du gouvernement, la marche est beaucoup moins prise en compte car elle aurait “peu d’impact sur la décarbonation” des mobilités, “au contraire du vélo[6]. Pourtant, d’autres pays européens, comme l’Allemagne, la Suisse et la République tchèque ont lancé de véritables plans nationaux pour la marche. En France, au sommet de l’État, la marche n’est manifestement pas encore reconnue comme un mode de déplacement légitime, contrairement au vélo.

L’association 60 millions de piétons voit d’ailleurs d’un mauvais œil l’attention politique et médiatique dont profite le vélo, au point d’estimer que “la marche est souvent pénalisée par l’émancipation d’autres modes comme par exemple le vélo ou les trottinettes qui empiètent sur son territoire et introduisent une nouvelle insécurité pour les piétons”. Une position assez catégorique et injuste, puisque le développement du vélo nécessite des mesures de modération de la circulation (vitesse et nombre de véhicules) et de suppression d’espaces dédiés au stationnement automobile. Or, ces mesures profitent aussi aux piétons, catégorie d’usagers chez laquelle la quasi-totalité des tués chaque année le sont par des véhicules motorisés.

La trottinette écartée

Effet collatéral de l’interdiction des trottinettes en libre-service décidée par consultation publique à Paris, désintérêt pour un mode encore trop émergent mais aux risques déjà bien identifiés… Les hypothèses sont multiples pour expliquer l’absence totale de mention de la trottinette électrique (et classique !) dans le plan. C’est pourtant le véhicule dont les ventes ont le plus augmenté ces dernières années, toutes catégories confondues. Le marché est florissant, malgré une baisse du volume de ventes l’an dernier [7].

Ludique, peu encombrante, très complémentaire des transports publics, la trottinette électrique souffre en fait de son irruption dans le paysage urbain, perçue négativement, et de ses inconvénients intrinsèques : faible stabilité, dangerosité, bénéfices moindres que les modes actifs en termes de santé publique, durée de vie limitée, conflits d’usage… Elle reste aussi un phénomène majoritairement métropolitain, à l’engouement devenu suspect pour beaucoup en raison du laisser-faire sur les volets de la réglementation et de la sensibilisation des usagers. Cette image dépréciative, l’accidentalité alarmante et son exclusion des modes actifs peuvent expliquer pourquoi le gouvernement cherche davantage à réguler l’usage de la trottinette qu’à le promouvoir pour le moment [8]. Les pouvoirs publics français ne sont pas les seuls à considérer que la trottinette électrique pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Aux Pays-Bas, les trottinettes électriques, personnelles comme partagées (à l’exception de modèles spéciaux [9]) sont purement et simplement interdites sur la voie publique, à l’instar des hoverboards, des skateboards électriques ou des monoroues. 

 

Après avoir établi le bilan du plan précédent (2018-2022) et présenté dans les grandes lignes le nouveau plan vélo et marche, BL évolution vous propose d’explorer les mesures des différents volets, à commencer par les montants alloués aux aménagements cyclables. Plusieurs marquent des avancées majeures, quelques-unes paraissent accessoires. Si certaines mesures étaient déjà présentes dans le plan de 2018 (mais n’ont jamais été mises en œuvre), d’autres ont été oubliées.

Passage en revue dans cet article

Partie 2 :

Infrastructure, stationnement, Savoir Rouler à Vélo… Des volets qui progressent, d’autres qui font du surplace : notre décryptage du plan

 

Notes :

[1] La donnée provient de l’enquête mobilité des personnes de 2019 (SDES-Insee, EMP 2019). Ajoutons qu’en agglomération, 40 % des trajets effectués en voiture font moins de 3 km (25 % sur l’ensemble du territoire français). Source : SOeS, ENTD 2008

[2] La résolution, qui a reçu le soutien unanime des différents groupes politiques du Parlement européen, appelle à investir massivement dans des infrastructures dédiées et des aires de stationnement sécurisées, à renforcer les mesures de prévention contre le vol et la formation professionnelle des métiers du vélo et à réduire le taux de TVA sur la fourniture, la location et la réparation de vélos. Les eurodéputés plaident aussi pour une meilleure connectivité entre les banlieues et les centres-villes, en particulier grâce aux réseaux cyclables à haut niveau de service, et dans les zones rurales avec les 17 itinéraires du réseau EuroVelo. Ils préconisent de tenir compte du vélo lors de la construction ou de la modernisation des infrastructures transeuropéennes (voies ferrées, voies navigables). Juridiquement non contraignante, la résolution influence néanmoins les priorités et les décisions politiques futures de la Commission européenne.

[3]  Objectif fixé par la Stratégie Nationale Bas-Carbone.

[4] Ils ne le sont pas au regard des niveaux atteints dans d’autres pays européens : 11 % de part modale vélo en Allemagne (2017), 15 % au Danemark (2013), 28 % aux Pays-Bas (2019). À condition d’en faire une priorité de politique publique à tous les échelons, ce qui exige des financements et une mobilisation des pouvoirs publics autrement plus importante.

[5] Ce terme était couramment utilisé chez les acteurs de la mobilité jusque dans les années 1990 pour qualifier le rôle du vélo, et l’absence de perspectives de potentiel de son usage.

[6]  RAZEMON Olivier, “Plan vélo : malgré des investissements massifs, les infrastructures cyclables pâtissent encore du réflexe routier”, Le Monde, 6 mai 2023

[7]  759 000 trottinettes électriques ont été vendues en France en 2022, en baisse de 16 % par rapport à 2021 (908 000 unités vendues). En 2017, il s’en était vendu seulement un peu plus de 100 000.

[8] Orientation affirmée par le “Plan national pour mieux réguler les trottinettes électriques” du 29 mars 2023

[9] Les véhicules autorisés ne ressemblent pas aux trottinettes électriques classiques. Ils sont dotés de grandes roues et d’un guidon de type vélo de ville, ce qui augmente la stabilité et donc la sécurité des usagers.